L’Algérie vit depuis quelques jours un événement judiciaire marquant après l’incarcération provisoire du journaliste Saad Bouakba, âgé de plus de 79 ans, suite à une plainte pour diffamation déposée par Mahdia Ben Bella, fille adoptive de l’ancien président Ahmed Ben Bella. Cependant, l’affaire a rapidement dépassé ce cadre juridique initial lorsque le procureur de la République a élargi l’accusation à « atteinte aux symboles historiques de l’État », après des déclarations télévisées dans lesquelles Bouakba a évoqué l’un des dossiers les plus sensibles de l’histoire de la révolution algérienne, à savoir les fonds du FLN déposés en Suisse.
L’affaire a commencé par une convocation mercredi, avant de prendre un tournant décisif le lendemain. Lors de sa présentation devant le procureur près du tribunal de Bir Mourad Raïs, il est apparu que la poursuite ne se limitait plus à la diffamation, mais englobait également la diffusion d’informations jugées inexactes et l’atteinte aux symboles de la révolution. Les faits reprochés à Bouakba sont liés à une émission intitulée Sans protocole, diffusée sur la chaîne Vision TV, dans laquelle le journaliste a présenté des témoignages historiques sur la gestion des fonds du FLN après l’indépendance et leur répartition entre certaines figures influentes.
Lors de l’interrogatoire, Bouakba a précisé que ses propos reposaient sur des sources anciennes, notamment un ouvrage de François Dumont publié il y a près de cinquante ans, qui n’avait donné lieu à aucune poursuite à l’époque. Cependant, cet argument n’a pas empêché l’élargissement de l’accusation, surtout après que Bouakba ait évoqué la récupération par la famille de Mohamed Khider d’une partie de ces fonds après son assassinat à Madrid en 1967, avant de restituer une autre part à l’État algérien.
L’affaire ne s’est pas limitée au journaliste lui-même. Le propriétaire de Vision TV et le journaliste ayant conduit l’interview ont également été poursuivis, puis relâchés sous contrôle judiciaire, pour diffamation, atteinte aux symboles de la révolution et diffusion intentionnelle de fausses informations. Par ailleurs, un ordre de suspension de la chaîne a été émis pour absence d’autorisation légale, décision directement liée à l’émission controversée.
La dimension politique de l’affaire s’est renforcée lorsque le ministère des Moudjahidines s’est constitué partie civile, donnant à ce dossier un poids symbolique important. Ce développement s’inscrit dans un contexte plus large de tension entre mémoire nationale et liberté journalistique, d’autant plus que Bouakba avait déjà été incarcéré en 2023 après un article satirique sur l’investissement qatari dans le secteur laitier.
L’arrestation de Bouakba apparaît ainsi comme un nouvel épisode dans une série de restrictions touchant la presse indépendante, aux côtés d’autres cas comme celui du journaliste Abdelouahed Belam, incarcéré depuis un an sans jugement définitif. Ces affaires traduisent une volonté accrue des autorités de contrôler l’espace public et d’empêcher toute narration historique parallèle à celle de l’État.
À l’approche de l’audience prévue le 5 décembre, Bouakba demeure en détention dans une affaire qui dépasse sa personne pour soulever une question plus large : qui détient le droit de raconter l’histoire de l’Algérie et qui peut contester cette narration ? Un bras de fer s’installe ainsi entre la vérité de la presse et les limites imposées par l’autorité, entre mémoire officielle et récits longtemps tus.



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