Plus de deux mille personnes ont manifesté samedi dans le centre de Tunis pour défendre les libertés politiques et protester contre la détérioration de la situation économique. Les participants, parmi lesquels des militants, des opposants et des citoyens, ont défilé pendant près de deux heures en scandant des slogans appelant à la chute du régime et en critiquant directement le président Kaïs Saïed, élu en 2019 et accusé d’avoir accaparé le pouvoir deux ans plus tard. Certains ont brandi des pancartes portant l’inscription Pas mon président.

La marche était conduite par des membres du comité de défense de l’avocat et ancien juge Ahmed Souab, emprisonné pour ses critiques du système judiciaire. Les organisateurs ont présenté cette mobilisation comme une action contre l’injustice, soulignant qu’il s’agissait de l’une des plus importantes des derniers mois.

Le cortège a marqué plusieurs arrêts symboliques, notamment devant le siège du Groupe chimique tunisien, accusé de pollution grave dans la ville de Gabès, et devant le Syndicat national des journalistes tunisiens qui avait dénoncé récemment une vague sans précédent d’atteintes à la liberté de la presse.

De nombreux manifestants portaient des vêtements noirs, des sifflets et un ruban rouge, répétant des appels à la liberté. Des membres de partis d’opposition ont participé sans afficher de signes partisans.

Les protestataires ont réclamé la libération de dizaines de responsables politiques, journalistes, avocats et acteurs humanitaires emprisonnés ces dernières années pour des accusations de complot contre la sûreté de l’État ou en vertu du décret 54, un texte dénoncé par les ONG pour ses formulations vagues et son usage répressif.

Selon Zied Dabbar, président du syndicat des journalistes, la situation actuelle de la presse est intenable. Il a évoqué la poursuite des arrestations et la peur grandissante des journalistes d’inviter des voix critiques à l’antenne à cause du décret 54. Le journaliste Mehdi Jelassi a estimé que la presse traverse sa pire période depuis la révolution, avec des procès multiples et des lois jugées injustes et arbitraires.

Saïeb Souab, porte-parole du comité organisateur, a affirmé que le pays vit une période sombre marquée par la présence de prisonniers politiques et de journalistes incarcérés, ainsi que par une crise environnementale à Gabès. Il a précisé que l’objectif du mouvement était d’unir les luttes sociales et politiques. Il a également dénoncé la dégradation de l’indépendance de la justice, rappelant que son père avait été condamné en quelques minutes lors d’un procès expéditif.

L’épouse de l’activiste emprisonné Abdelhamid Jelassi a brandi un panier en plastique similaire à ceux utilisés par les familles pour apporter de la nourriture aux détenus, dans un geste symbolique.

La manifestation était suivie par des policiers en civil, parfois surpris par les changements soudains de trajet décidés par les organisateurs. Les slogans le peuple veut la chute du régime ont été scandés à plusieurs reprises, accompagnés de pancartes proclamant Pas mon président.

Nagia Ajmi, retraitée de 63 ans, a déclaré que les Tunisiens vivent une détérioration alarmante de leur niveau de vie, soulignant la hausse des prix, la pauvreté croissante et la situation critique des services hospitaliers. Les citoyens subissent depuis plusieurs années une baisse du pouvoir d’achat en raison d’un taux d’inflation qui atteint cinq pour cent après un pic de dix pour cent l’année précédente.

Ajmi, parente de Saber Ben Chouchane libéré après une grâce présidentielle, a affirmé que les Tunisiens ne peuvent même plus s’exprimer sur les réseaux sociaux, estimant que les lois servent désormais à museler les opinions.

De nombreuses organisations locales et internationales ont exprimé leurs inquiétudes face au recul des libertés depuis les mesures prises par Kaïs Saïed en juillet 2021 qui ont conduit au renvoi du gouvernement, au gel du Parlement puis à l’adoption d’une nouvelle Constitution renforçant le pouvoir présidentiel.

Aml, psychologue retraitée ayant participé à la marche, a déclaré qu’elle manifestait contre l’arbitraire, dénonçant l’incarcération de personnes pour leurs opinions et l’enchaînement des procédures destinées à empêcher leur libération.

L’artisan Hicham Lahmar, âgé de 45 ans, a condamné la pauvreté, l’inflation et l’effondrement général du pays, ainsi que la surpopulation carcérale et l’absence de liberté d’expression. Il a appelé au départ du président et à l’organisation de nouvelles élections.