Alors que Gaza continue de vivre sous les bombes dans l’indifférence des puissants, Alger, qui se targue d’être le porte-voix des causes justes, a préféré tourner le regard.
Par Hichem ABOUD
Ce dimanche 27 juillet, Abdelmadjid Tebboune a reçu Massad Boulos, émissaire spécial de Donald Trump pour l’Afrique, le Moyen-Orient et les affaires arabes, dans le cadre d’une tournée maghrébine. Une rencontre de haut niveau, au cours de laquelle le drame palestinien n’a été évoqué ni par l’hôte ni par l’invité.
La présidence algérienne, dans un communiqué officiel, s’est félicitée de cette audience, précisant que la réunion a permis d’évoquer plusieurs dossiers sensibles : le Sahara occidental, le Sahel, la Libye, ou encore les perspectives du commerce bilatéral. Gaza ? Pas un mot. Ni dans les échanges officiels, ni dans les déclarations à la presse. Une omission qui interroge, venant d’un régime qui, à longueur de discours, fait de la Palestine une cause sacrée.
Pourtant, Abdelmadjid Tebboune aurait pu – et dû – s’inspirer de son homologue tunisien, Kaïs Saïed, qui, lors de sa rencontre avec le même émissaire américain quelques jours plus tôt, n’avait pas hésité à placer Gaza au cœur des échanges. Dès la première poignée de main, le président tunisien avait exhibé des images insoutenables d’enfants palestiniens agonisants, affamés, mutilés par les frappes israéliennes. Il avait dénoncé, avec une fermeté rare, l’inaction de la communauté internationale et appelé les États-Unis à cesser leur soutien aveugle à l’agression. Ce geste, d’une grande portée symbolique, a fait le tour du monde. À Alger, en revanche, le drame de Gaza n’a même pas effleuré les discussions, comme si les enfants de Palestine ne faisaient plus partie des causes « sacrées » que le régime algérien prétend défendre.
La rencontre s’est tenue en présence du directeur de cabinet de la présidence, Boualem Boualem, du ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf, du conseiller diplomatique Amar Abba, et de l’ambassadeur d’Algérie à Washington, Sabri Boukadoum. Côté américain, figuraient notamment David Linfield, chef de cabinet de Boulos, le secrétaire d’État adjoint Joshua Harris, et l’ambassadrice des États-Unis en Algérie, Elizabeth Moore Aubin.
Une tournée diplomatique bien rodée, un langage policé Massad Boulos, qui a entamé sa tournée par Tunis, avant de passer par la Libye, doit encore se rendre au Maroc. En Algérie, il a loué la solidité des relations bilatérales. « Je suis ici au nom du président Trump et du secrétaire d’État Marco Rubio », a-t-il déclaré à la sortie de son entretien avec Tebboune. Il a salué « une relation de grande importance » et assuré vouloir « renforcer les liens commerciaux, sécuritaires et diplomatiques dans un esprit de respect mutuel et de dialogue ».
Les discussions ont porté sur « la concrétisation de la paix », « la lutte contre le terrorisme », « la sécurisation des frontières » et « le commerce équitable ». Une rhétorique classique, calibrée, dans laquelle ni les souffrances des civils gazaouis, ni les bombardements de Rafah, ni les centaines de milliers de déplacés palestiniens n’ont trouvé leur place.
Pire encore : malgré les références appuyées à la stabilité régionale, au Conseil de sécurité et à l’importance du rôle de l’Algérie sur la scène internationale, aucun mot n’a été soufflé sur l’un des drames les plus urgents de notre temps. Un silence assourdissant.
Tebboune évite Gaza, mais s’accroche au Sahara occidental Autre surprise de cette visite : Massad Boulos, réputé proche des cercles pro-marocains de Washington, n’a lui-même pas abordé publiquement la question du Sahara occidental. Ni soutien, ni prise de position : une neutralité calculée, probablement pour ménager ses hôtes à Alger avant de rallier Rabat.
Dans ses déclarations à la presse, Boulos s’est contenté de rappeler que les États-Unis considèrent « l’Algérie et le Maroc comme deux pays amis ». « Il ne fait aucun doute que le Maroc est un pays allié et partenaire, mais nous souhaitons aussi les meilleures relations avec l’Algérie », a-t-il insisté, sur un ton diplomatiquement équilibré.
Une diplomatie algérienne à géométrie variable La veille, Boulos s’était entretenu avec le ministre Attaf. Les discussions ont tourné autour de la coordination au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et des crises régionales : Libye, Sahel, Grands Lacs… Là encore, Gaza n’est pas mentionnée. Faut-il y voir un calcul diplomatique ? Une volonté de ne pas heurter Washington ? Ou le signe d’un désintérêt réel pour la tragédie palestinienne, lorsque les caméras ne sont pas braquées ?
Cette visite marque un tournant dans la diplomatie algérienne. Celle d’un régime qui, lorsqu’il s’adresse à l’Occident, préfère taire Gaza pour parler business, sécurité et « commerce équitable ». Et ce, au moment même où d’autres capitales du Sud global haussent le ton contre l’inaction internationale.
Le silence de Tebboune sur Gaza, en présence de l’émissaire américain, n’est pas une omission. Il est un signal : celui d’un pouvoir prêt à troquer ses slogans pour une respectabilité diplomatique à bon prix.
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