Par : Hichem ABOUD

Le tribunal de Bir Mourad Raïs a livré jeudi son verdict dans l’affaire déclenchée contre le journaliste Saad Bouakba. Après une semaine passée derrière les barreaux, le chroniqueur de 79 ans recouvre la liberté : trois ans de prison avec sursis et un million de dinars d’amende. Une sanction lourde sur le papier, mais qui ne suffira pas à faire taire une voix que le pouvoir n’a pas réussi à intimider.

Son co-accusé, Abdelhalim Harraoui, créateur de la web TV Vision TV News, écope, lui aussi, d’une peine avec sursis un an et d’une amende de 500 000 dinars. La plateforme est, quant à elle, condamnée à disparaître : fermeture définitive, matériel saisi. Quand on ne peut pas faire taire les idées, on détruit les outils qui les diffusent.

Le “crime” : questionner l’histoire confisquée

Tout est parti d’une interview diffusée sur YouTube, où Bouakba évoquait la gestion obscure du “trésor de guerre” du FLN après l’indépendance. Un sujet sensible. Un tabou d’État.

Ses propos ont suffi à déclencher les foudres de Mahdia Ben Bella, fille adoptive du premier président algérien, qui a crié à la profanation des “symboles de la Révolution”. Immédiatement, le ministère des Moudjahidines s’est dressé en bouclier des mémoires sacrées mais pas forcément des vérités historiques.

Le parquet a parlé d’“informations erronées et attentatoires”, de diffamation, d’injures électroniques. En réalité, Bouakba a osé rappeler ce que beaucoup chuchotent : que certains “héros” ont eu la main un peu trop lourde sur les caisses de la libération. Sacrilège absolu dans un pays où la Révolution est un capital politique dont certains héritiers abusent sans scrupule.

Un procès pour l’exemple

La machine judiciaire s’est emballée :  comparution immédiate,  détention provisoire,  un dossier expédié en correctionnelle…

Une trentaine d’avocats ont dû se mobiliser pour que le procès ne tourne pas à l’exécution publique. À l’heure du verdict, Bouakba ressort libre, mais le message du pouvoir est clair :

“Il y a des zones interdites : l’Histoire telle que le régime l’a écrite. Qui la touche, tombe.”

Et si l’accusée… c’était Mahdia ?

Un détail de droit fait pourtant vaciller tout l’édifice : le Code de la famille algérien ne reconnaît aucun droit successoral ni symbolique à l’enfant adopté. Il ne peut ni porter le nom de la “famille”, ni agir en son nom.

En clair : Mahdia (Sans Nom Propre) n’a aucune qualité juridique pour se présenter comme héritière de la mémoire d’Ahmed Ben Bella. En se faisant passer pour la fille biologique du premier président, elle se place d’elle-même dans le champ pénal : usurpation de statut

Autrement dit, si justice il doit y avoir, c’est elle qui devrait répondre de ses actes non pas le journaliste qu’elle tente de faire taire.

Cette affaire dépasse largement le destin d’un journaliste de 79 ans. Elle révèle un mécanisme bien rodé :

La mémoire nationale est un territoire réservé. Le débat historique est transformé en crime d’opinion. La Révolution n’est pas un sujet d’étude : c’est une religion d’État.

En condamnant Bouakba, ce n’est pas son propos que l’on juge. C’est le droit même de questionner la vérité officielle.

Et c’est l’Algérie qui se retrouve au banc des accusés : celle qui préfère emprisonner les historiens au lieu de fouiller ses archives, celle qui confisque la mémoire pour mieux maintenir le mensonge, celle qui a fait de la Révolution un alibi éternel pour bâillonner le présent.

L’usurpation de statut : un délit puni par le Code pénal En Algérie, l’adoption plénière n’existe pas juridiquement. La prise en charge d’un enfant (Kafala) ne crée aucun lien de filiation avec la famille qui l’accueille. La loi est explicite.

 Références du Code de la famille:


Article 40 : « La filiation résulte de l’union légitime, de la reconnaissance ou de la décision judiciaire. »

Article 46 : exclut toute filiation en dehors de ces cas.

Articles 116 à 124 : organisation de la kafala, qui ne crée aucun lien de filiation avec le kafil.

Article 125 : l’enfant pris en charge ne porte pas le nom de la famille qui l’élève.

Article 133 : la succession est réservée aux héritiers légalement reconnus, pas aux enfants recueillis.

 Conséquence : Un enfant adopté ne peut ni porter le nom du parent adoptif, ni agir comme héritier, ni représenter sa mémoire ou ses symboles devant la justice.

 Références du Code pénal

La fausse qualité familiale est considérée comme une usurpation d’état ou de qualité, sanctionnée par plusieurs articles :

Article 249 : réprime le fait de s’attribuer « un état civil, une qualité ou un titre que l’on ne possède pas ». Peines : emprisonnement + amende.

Article 222 bis : punit toute fausse déclaration causant un préjudice moral ou matériel à autrui.

Article 298 et suivants : si cette fausse qualité s’accompagne d’une diffamation, la sanction est aggravée.

 Conséquence : Toute personne se présentant comme enfant biologique d’un défunt président afin d’agir en qualité d’ayant-droit commet un délit pénal clairement défini.

Application au dossier Bouakba

En intentant une action pour « atteinte aux symboles de la Révolution » au nom d’Ahmed Ben Bella, Mahdia Ben Bella : revendique un lien de filiation inexistant, se présente comme ayant-droit d’un symbole de l’État, agit au titre de représentante légitime de sa mémoire… qualités qu’elle ne possède pas juridiquement.

Elle expose donc sa propre responsabilité pénale pour :
• usurpation d’état civil (Art. 249 C. pénal)
• préjudice moral causé au mis en cause (Art. 222 bis C. pénal)

 Le renversement du dossier reste légalement possible : La plaignante pourrait devenir la mise en cause.