Par : Abderrahmane Fares
Le Louvre a captivé l’attention du monde ce week-end — mais pas pour son art. Les enquêteurs français ont arrêté deux hommes soupçonnés d’avoir dérobé des joyaux de la Couronne d’une valeur estimée à 88 millions d’euros. L’un d’eux, un Franco-Algérien de Seine-Saint-Denis, a été interpellé à l’aéroport de Roissy, quelques minutes avant d’embarquer sur un vol Air Algérie à destination d’Alger, le dernier de la soirée. Son ADN avait été retrouvé sur les outils utilisés pour pénétrer dans le musée.
Quelques semaines plus tôt, la Metropolitan Police de Londres publiait les résultats de l’opération Echosteep, la plus vaste répression du vol de téléphones de l’histoire britannique. Sur les 70 millions de livres sterling du commerce illégal de smartphones volés au Royaume-Uni, 32 % des appareils ont été tracés jusqu’à l’Algérie, un marché estimé entre 5 à 15 millions de livres sterling par an. Les enquêteurs ont mis au jour une chaîne logistique complète reliant les voleurs de rue londoniens aux exportateurs et revendeurs d’Alger. L’un des suspects, un Algérien arrêté à Heathrow, avait effectué plus de 200 voyages entre Londres et Alger en deux ans, soit 8 voyages par mois en moyenne, transformant les téléphones volés en un véritable commerce transfrontalier.
Les chiffres donnent la mesure du phénomène : selon la police, un téléphone volé sur trois à Londres finit en Algérie. Les appareils sont dissimulés dans des bagages ou des conteneurs maquillés en « batteries », puis débarquent sur les marchés informels d’Alger — Belfort, Bab El Oued — où les modèles européens se revendent parfois deux fois plus cher qu’au Royaume-Uni. Ce trafic repose sur des complicités multiples : employés d’aéroport, agents des douanes et les « cabas », ces voyageurs qui transportent régulièrement de petites quantités de marchandises entre l’Europe et l’Algérie pour en tirer profit.
La France aussi à souligné ce schéma. À Rennes, un procès tenu en 2022 a révélé un réseau ayant volé plus de 200 téléphones dans l’ouest du pays et les ayant expédiés vers l’Algérie avec la complicité de stewards d’Air Algérie. Quatre membres d’équipage ont fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux pour recel et blanchiment. La même année, la gendarmerie des transports aériens perquisitionnait les bureaux d’Air Algérie à Orly, dans le cadre d’enquêtes sur des trafics de drogue et de produits électroniques impliquant des employés de la compagnie.
En mai 2025, les autorités algériennes ont elles-mêmes mis au jour un réseau de contrebande à l’aéroport d’Alger, impliquant trois douaniers accusés d’avoir importé illégalement des marchandises de Dubaï — 500 téléphones, cosmétiques et produits électroniques — grâce à de fausses autorisations. Ce circuit de contrebande, utilisé pour les importations, peut tout aussi bien servir aux exportations : les biens volés en Europe transitent vers l’Algérie sans contrôle réel, avant d’être écoulés localement ou réexportés via de faux documents.
Le système des passeports est lui aussi dans le viseur. En août 2025, l’avocat Youssef Boumaaza a reconnu à la télévision algérienne Ennahar TV que plus de 3 000 passeports frauduleux circulaient encore. Ces documents authentiques mais obtenus sur la base de faux registres d’état civil sont les reliquats d’un vaste trafic actif depuis les années 2010. Le cas le plus emblématique reste celui de Mahmoud Khalil, un homme d’origine palestinienne détenteur d’un véritable passeport algérien délivré dans des conditions opaques. Des dossiers judiciaires américains et algériens laissent penser que ce document provient d’une filière de falsification reliant Damas à Alger.
Pris ensemble, ces éléments dessinent un tableau préoccupant. Du vol de téléphones à Londres au cambriolage du Louvre, des passeports trafiqués en Syrie à la corruption douanière à Alger, les coordonnées se répètent. L’Algérie n’est pas devenue l’Albanie de l’Europe, mais elle agit de plus en plus comme une base logistique de repli : un espace de recyclage, de blanchiment et de revente où les produits du crime européen trouvent refuge.
Pour les enquêteurs européens, l’Algérie n’est plus seulement une source de délinquance, mais un amplificateur : le lieu où les biens volés sont blanchis, les identités reconstruites et les profits redistribués. Le vol du Louvre et son fugitif intercepté à bord d’un vol Air Algérie n’en ont montré que la partie émergée. Derrière chaque cargaison de téléphones ou chaque valise de bijoux, un même constat s’impose : l’Europe perd ses objets, l’Algérie les récupère.
Mais ce ne sont plus seulement les objets. Les criminels eux-mêmes s’y replient, attirés par un territoire où la non-coopération judiciaire avec l’Union européenne et le refus quasi systématique d’extrader les ressortissants algériens leur garantissent une impunité de fait. Sous couvert de souveraineté, les autorités algériennes abritent ainsi des individus recherchés pour vols, fraudes, cyberescroqueries ou trafics, transformant le pays en zone grise entre économie souterraine et sanctuaire judiciaire.
De Paris à Londres, les magistrats instructeurs constatent la même impasse : une juridiction fermée, un État qui ne répond pas, et une filière criminelle qui prospère sous protection politique. L’Algérie n’est plus simplement un débouché du crime européen — elle en devient le refuge.
Le président Algérien Abdelmadjid Tebboune a par ailleurs récemment légalisé le commerce du cabas en mai 2025, en ordonnant sa régularisation et son intégration dans le circuit formel du commerce extérieur. Un décret présidentiel a transformé ces importateurs informels en « auto-entrepreneurs », autorisés à importer jusqu’à 24 000 euros de marchandises par mois, sans licence, ni contrat, ni contrôle strict.
Cette décision, présentée comme un geste social, soulève désormais une question dérangeante : en légitimant la contrebande, l’État algérien n’a-t-il pas institutionnalisé le marché parallèle qui alimente le vol et le trafic en Europe ?
La tendance prend une tournure encore plus troublante lorsque l’on considère les révélations récentes : Tebboune lui-même et ses proches sont cités dans une affaire de trafic de cigarettes, qui serait derrière le limogeage et l’emprisonnement de l’ex-chef du renseignement intérieur Abdelkader Haddad. Ces recoupements — entre tolérance politique de l’économie informelle et implication personnelle du chef de l’État dans des circuits illicites — accentuent l’impression d’un système où la frontière entre économie parallèle et criminalité transnationale s’efface chaque jour un peu plus.



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