Les récentes déclarations du président tunisien Kaïs Saïed ont suscité une vive controverse après qu’il a utilisé des vers de la poésie omeyyade pour critiquer ce qu’il appelle la “Génération Z”, accusant certains jeunes manifestants de “trahison et de collusion avec l’étranger”.
Lors d’une rencontre avec la cheffe du gouvernement Sara Zaafrani au palais de Carthage, le président a évoqué les protestations sociales dans la ville de Gabès, où les habitants réclament la fermeture des unités industrielles du complexe chimique local. Il a affirmé :
“Certains se revendiquent du groupe Z, mais le peuple tunisien, conscient et solidaire avec ses forces de sécurité, est le rempart contre toutes les tentatives de déstabilisation. Ces agents recevront leçon après leçon et gifle après gifle.”
Dans un passage largement commenté sur les réseaux sociaux, Saïed a cité un célèbre vers du poète omeyyade Jarrir :
“Al-Farazdaq prétend qu’il tuera Murabba‘, réjouis-toi, ô Murabba‘, de ta longue survie.”
Il a ensuite ajouté : “Si le peuple tunisien accomplit sa volonté, il coupera le nez d’Al-Akhtal”, faisant ainsi référence aux querelles littéraires entre les poètes Jarrir, Al-Farazdaq et Al-Akhtal, transposées au contexte politique actuel.
Mais l’usage de la poésie classique dans un discours politique contemporain a provoqué de vives critiques. Le journaliste Amar Bouazza a jugé qu’il s’agissait d’“une erreur rhétorique fatale”, rappelant que le vers cité désigne traditionnellement quelqu’un qui parle beaucoup mais agit peu — un sens qui, selon lui, pourrait se retourner contre celui qui l’emploie.
De son côté, Abdelwahab El-Heni, président du parti El-Majd, a estimé que le président “avait eu tort de qualifier les manifestants de traîtres et d’appeler implicitement à leur élimination”. Il a averti que l’usage d’expressions comme “couper les nez” ou “faire boire du poison” pour désigner des adversaires politiques constitue “une dangereuse dérive linguistique” susceptible d’approfondir la fracture entre le pouvoir et la jeune génération tunisienne.
Cette polémique intervient alors que Gabès connaît des manifestations d’une ampleur inédite. Des milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour réclamer la fermeture des unités du complexe chimique, surnommé par les habitants “le complexe de la mort”, en raison de la pollution et des graves dommages sanitaires qu’il engendre.
La ville a été pratiquement paralysée mardi dernier : écoles et universités fermées, marchés et cafés à l’arrêt, services publics suspendus, à la suite d’une grève générale appelée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et plusieurs organisations de la société civile.
Les manifestants ont brandi des slogans en faveur de la justice environnementale et du droit à un environnement sain, tels que : “Gabès libre, la pollution dehors !”, “La pollution n’est pas une fatalité” ou encore “Le peuple veut le démantèlement des unités”.
Pour de nombreux observateurs, les protestations écologiques à Gabès traduisent un profond malaise social et économique dans le sud tunisien. Mais les propos du président leur ont donné une nouvelle dimension politique, ouvrant un débat inédit sur la relation entre le pouvoir et une jeunesse désormais placée au cœur de la polémique.



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