Elizabeth Moore Aubin est l’ambassadrice des États-Unis en Algérie depuis juillet 2021. Pour de nombreux observateurs algériens, elle n’est pas une simple diplomate : elle est la “marraine” officieuse d’une nouvelle génération de généraux et de hauts responsables susceptibles d’orienter l’Algérie vers l’orbite atlantique dans les années à venir.

Un parcours diplomatique et militaire stratégique

Avant son arrivée à Alger, Mme Aubin a été, de 2014 à 2018, conseillère politico-militaire à l’ambassade américaine de Tel-Aviv, à une période où les relations Washington-Tel-Aviv connaissaient un apogée sous l’administration Trump. Elle y a interagi directement avec des officiers israéliens et des responsables du Pentagone chargés du Moyen-Orient élargi. Elle a ensuite rejoint Bruxelles, au sein de l’OTAN, pour travailler sur les “partenariats sud”, visant à réintégrer les armées maghrébines dans le giron occidental après le fiasco libyen. En 2021, elle revient en Algérie non plus comme adjointe, mais à la tête de la plus importante ambassade américaine en Afrique du Nord après Le Caire.

Une stratégie d’influence subtile

Depuis son arrivée, l’ambassadrice multiplie les initiatives qui ressemblent à une véritable opération de séduction militaire :

  • Visites répétées des académies militaires de Cherchell, Tamanrasset et Béchar

  • Réceptions privées avec des généraux récemment promus

  • Promotion intensive du programme “Link”, ayant formé 480 hauts fonctionnaires et officiers algériens aux États-Unis en seulement trois ans

  • Financement discret de stages de leadership pour les officiers destinés à des postes stratégiques

  • Et une opération de communication spectaculaire pour l’Aïd 2023, lorsqu’elle a acheté un mouton devant les caméras, comme dans un film hollywoodien

Cartographie humaine : construire l’influence

Dans le jargon du renseignement américain, ces pratiques sont appelées “human mapping”, consistant à identifier les réseaux, repérer les ambitieux et créer des dettes de reconnaissance. Les officiers qui passent quelques semaines à Washington, logent à Georgetown, assistent aux barbecues du 4 juillet et sont briefés par des colonels du Pentagone, ne reviennent jamais tout à fait les mêmes. Certains deviennent plus tard chefs d’état-major, directeurs de la sécurité militaire ou ministres de la Défense.

Le contexte algérien et les défis de l’influence

En Algérie, la situation est plus complexe : le haut commandement reste anti-américain, la mémoire de la guerre d’indépendance est vivace, et le soutien populaire à la Palestine demeure une ligne rouge. Mais les temps changent. Les généraux actuels, âgés de 55 à 65 ans, ont été formés après 1991, année de l’effondrement de l’URSS. Ils savent que l’armée russe ne livre pas toujours à temps, que les Chinois vendent cher sans formation, tandis que les Américains offrent des F-16, des drones Reaper et des places à West Point.

La marraine américaine et sa subtilité

Mme Aubin n’impose rien. Elle sourit, parle un arabe soigné, porte le karakou avec élégance et se montre émue lorsqu’elle évoque “l’amitié algéro-américaine”. Pendant ce temps, ses officiers de liaison au Bureau de coopération militaire dressent la liste des futurs leaders et partenaires stratégiques.

Leçon de l’histoire

L’expérience tunisienne après 2011, le programme IMET au Maroc et les officiers formés à Fort Leavenworth en Égypte montrent que les militaires formés à l’étranger finissent souvent par accéder aux postes de pouvoir. En Algérie, aucun armement, même nucléaire, ne peut à lui seul résister à ces réseaux subtils, où argent, formation internationale et contrôle des promotions jouent un rôle décisif.

Conclusion : vers une légitimité populaire réelle

Ces interventions ne cesseront que lorsque le pouvoir reposera sur une légitimité populaire incontestable, avec un espace de libre expression, des élections transparentes et des représentants capables d’influencer réellement les décisions nationales. Alors, aucune “marraine” ne pourra imposer sa vision ni former les futurs officiers. Elle ne sera qu’une invitée, et le peuple décidera d’ouvrir ou de fermer les portes du pouvoir.

Khaled Boulaziz (lanation.net)