Un souffle d’humanité au milieu du brouillard politique Après plus d’un an de détention, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a enfin retrouvé la liberté. Sa libération, annoncée mercredi par la présidence algérienne, met un terme à des mois d’incertitude et de tensions diplomatiques. Elle marque à la fois un soulagement pour ses proches et un geste d’apaisement envers Paris et Berlin, qui avaient multiplié les démarches en sa faveur.
À l’origine de ce dénouement, une intervention humanitaire du président fédéral allemand, Frank-Walter Steinmeier, adressée directement à son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune. Dans une lettre officielle, le chef d’État allemand plaidait pour la grâce de l’écrivain, détenu depuis novembre 2024, en insistant sur son âge avancé et l’aggravation de son état de santé. Le bureau du président allemand a précisé que cette initiative s’accompagnait d’une offre d’accueil en Allemagne, afin que Boualem Sansal puisse y recevoir les soins médicaux nécessaires. « Cette démarche s’inscrit dans un esprit humanitaire et témoigne des relations cordiales entre les deux pays ainsi que du lien personnel entre leurs présidents », a indiqué Berlin.
Un écrivain dérangeant pour le régime algérien Âgé de 80 ans, détenteur des nationalités algérienne et française, Boualem Sansal est l’une des figures les plus respectées des lettres maghrébines contemporaines. Auteur de romans puissants sur la mémoire, la dictature et la liberté, il est également lauréat du Prix de la paix de l’Association allemande des éditeurs et libraires, distinction rare pour un écrivain arabe.
Mais son indépendance intellectuelle et ses prises de position tranchées lui ont souvent valu l’hostilité du pouvoir algérien. En juillet 2025, il avait été condamné à cinq ans de prison et à une amende pour « atteinte à l’unité nationale » et « actions menaçant la sécurité de l’État ». Le motif : des déclarations faites en octobre 2024 à une chaîne française, dans lesquelles il affirmait que de larges parties de l’Ouest algérien appartenaient historiquement au Maroc et que le Sahara faisait partie intégrante du royaume marocain.
Ces propos ont déclenché un véritable séisme politique à Alger, où le gouvernement les a jugés attentatoires à la souveraineté nationale. En quelques jours, l’écrivain a été arrêté à son arrivée à l’aéroport Houari-Boumédiène et placé en détention préventive dans une procédure expéditive. Le parquet, jugeant la première peine trop clémente, avait même réclamé une aggravation de la condamnation à dix ans de prison.
Une santé déclinante et un appel à la raison Durant sa détention, la santé de Boualem Sansal s’est rapidement détériorée. Atteint d’un cancer, il avait été hospitalisé à plusieurs reprises, suscitant l’inquiétude d’organisations humanitaires et d’intellectuels à travers le monde. Sa situation est devenue un test moral pour le régime algérien, déjà sous le feu des critiques pour sa répression de la liberté d’expression.
La grâce présidentielle accordée aujourd’hui apparaît donc autant comme un geste humanitaire que diplomatique, une tentative d’adoucir l’image d’un pouvoir accusé d’intransigeance et d’aveuglement idéologique.
Un contexte de répression généralisée L’affaire Boualem Sansal s’inscrit dans un climat politique étouffant. L’Algérie est de plus en plus pointée du doigt pour sa dérive autoritaire et sa surveillance accrue des journalistes et intellectuels. Le journaliste français Christophe Gleizes, arrêté alors qu’il préparait un reportage sur le club de la Jeunesse sportive de Kabylie, est lui aussi poursuivi pour « apologie du terrorisme » et « diffusion de publications menaçant les intérêts supérieurs de l’État ». Autant de signes d’une méfiance maladive du régime envers toute voix libre, qu’elle soit algérienne ou étrangère.
Une libération saluée en Europe En France, l’annonce de la libération de Boualem Sansal a été accueillie avec un large soulagement. Le Premier ministre Sébastien Lecornu a salué « une décision juste et humaine », tandis que le député Laurent Wauquiez a rappelé sur X (ex-Twitter) « l’importance de ce geste pour tous ceux qui ont défendu la liberté d’un grand écrivain ». À Berlin, on souligne la réussite d’une médiation discrète mais efficace, menée au nom des valeurs humanistes qui avaient déjà valu à Sansal l’estime du monde germanophone.
L’écrivain, le symbole Boualem Sansal quitte la prison, mais non la lutte. Sa libération ne saurait faire oublier qu’en Algérie, écrire reste un acte de courage, et que la parole libre demeure sous surveillance. L’homme de lettres qui osa dire que « la vérité est un pays sans frontières » vient, une fois encore, d’en payer le prix — avant d’en triompher par la dignité.



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