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Par : Abderrahmane Fares

L’Algérie figure pour la dixième année consécutive, depuis —au moins— 2015, sur la liste des « juridictions majeures de blanchiment d’argent et de trafic de stupéfiants » publiée dans le rapport annuel américain sur la surveillance des stupéfiants et du blanchiment d’argent. Ce rapport officiel du gouvernement des États-Unis, intitulé International Narcotics Control Strategy Report (INCSR), est publié chaque année par le Département d’État et transmis au Congrès américain.

Il présente, pays par pays, une évaluation détaillée des politiques et dispositifs nationaux visant à lutter contre le trafic international de stupéfiants, le contrôle des produits chimiques, le blanchiment d’argent et les crimes financiers. Ce document gouvernemental constitue la référence principale utilisée par la diplomatie et les agences fédérales américaines pour mesurer le niveau de conformité et de risque des États dans la lutte contre les flux financiers illicites.

L’Algérie parmi les « juridictions majeures de blanchiment d’argent » n’est pas une désignation punitive, mais indique l’existence de risques. Le système bancaire formel, dominé par des institutions publiques, est décrit comme bureaucratique et fondé sur une paperasse lourde, limitant les schémas complexes de blanchiment mais reflétant aussi une culture réglementaire dépassée. La Banque d’Algérie exerce un contrôle étroit sur les flux de capitaux grâce à la convertibilité restreinte du dinar et à la vérification systématique des transactions.

Cependant, “environ 40 % du PIB algérien circule en dehors du réseau bancaire sous forme d’espèces”, indique le rapport. Il ajoute: “cette liquidité informelle, combinée à l’opacité des transactions immobilières, à la fraude fiscale et à la fausse facturation commerciale, constitue la principale voie de blanchiment”.
La Cellule de Traitement du Renseignement Financier (CTRF), unité de renseignement financier créée en 2002, enregistre chaque année plusieurs centaines de déclarations de soupçon, mais reste dépourvue des outils analytiques et de la coordination interinstitutionnelle nécessaires à une application efficace. En 2023, le ministère de la Justice a rapporté 60 poursuites et 51 condamnations pour des infractions liées au blanchiment d’argent, mais la plupart concernaient des chefs secondaires associés au trafic ou à la corruption plutôt qu’à des schémas financiers sophistiqués.

En octobre 2024, l’Algérie a pris un engagement politique de haut niveau auprès du Financial Action Task Force (FATF) -un organisme intergouvernemental chargé d’élaborer les normes mondiales de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme- afin de corriger ses insuffisances en matière de supervision, de contrôle des associations et de sanctions ciblées liées au financement du terrorisme.
Dans les faits, cette démarche a renforcé l’autorité du régime à encadrer ou restreindre le financement de la société civile sous prétexte de lutte contre le terrorisme, tout en donnant l’apparence d’une conformité accrue et d’un rapprochement vers une crédibilité financière internationale.

En matière de stupéfiants, les États-Unis considèrent l’Algérie comme une zone de transit plutôt que de production. La résine de cannabis en provenance du Maroc demeure le principal produit illicite, avec des saisies oscillant entre 27 et 38 tonnes par an entre 2018 et 2023. Les autorités ont saisi 701 kilogrammes de cocaïne à Oran en 2018, 19 tonnes de haschisch en 2023 et plus d’un million de comprimés psychotropes la même année. Ces flux s’articulent avec des réseaux de contrebande et de taxation criminelle dans les régions frontalières, où Al-Qaïda au Maghreb islamique et des groupes affiliés tirent une partie de leurs revenus.
Les rapports américains soulignent la corruption structurelle comme obstacle permanent. L’Algérie a ratifié la Convention des Nations unies contre la corruption en 2004, mais sa mise en œuvre demeure partielle. La campagne anticorruption menée après la chute du président Abdelaziz Bouteflika en 2019 a conduit à plusieurs dizaines de poursuites sans produire de réformes structurelles sur la transparence des marchés publics ou la déclaration de patrimoine.

Entre 2023 et 2025, la coopération entre les États-Unis et l’Algérie s’est intensifiée à travers des formations conjointes menées par le Department of Homeland Security’s Homeland Security Investigations et le Treasury’s Financial Crimes Enforcement Network. En pratique, ces échanges ont surtout fonctionné comme une diplomatie d’État à État plutôt qu’un partenariat opérationnel, offrant aux autorités sécuritaires et financières algériennes une exposition technique aux cadres d’enquête américains tout en permettant à certaines composantes du régime et de l’appareil profond de mieux comprendre et anticiper les mécanismes de conformité mêmes censés les contraindre.

Le rapport 2025 conclut que les progrès de l’Algérie sont réels mais incomplets. Le secteur formel demeure sous une surveillance étatique stricte, limitant les opérations de blanchiment complexes, tandis que le secteur informel — représentant environ 40 % du PIB — continue d’absorber les capitaux illicites.

Les États-Unis considèrent l’Algérie comme une juridiction coopérative mais à haut risque, techniquement conforme sur le plan législatif mais déficiente dans l’exécution, et la maintiennent par conséquent sous surveillance annuelle en tant que juridiction majeure de blanchiment d’argent.