L’Algérie a été secouée par un événement politique inédit au sein de son Parlement, après que 42 députés ont saisi la Cour constitutionnelle pour dénoncer ce qu’ils décrivent comme des « violations graves » de leurs prérogatives au sein de l’Assemblée populaire nationale (APN). Cette initiative, menée par le député du MSP Abdelouahab Yagoubi, constitue une première dans une institution souvent considérée comme un simple prolongement du pouvoir exécutif.
Une fronde rare dans une institution réputée pour sa docilité
Jamais l’APN n’avait connu une démarche collective de cette ampleur. Dans un hémicycle marqué par la discipline partisane, la contestation ouverte de 42 élus constitue une rupture avec la tradition du vote automatique. Selon les députés signataires, ce qui se passe dépasse largement le cadre des simples « dysfonctionnements » et s’apparente à une dérive institutionnelle contraire à la Constitution de 2020.
Des blocages répétés : amendements rejetés, propositions gelées, absence de contrôle
La saisine adressée à la Cour constitutionnelle énumère plusieurs pratiques jugées attentatoires aux droits des députés :
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Rejet d’amendements pour des motifs de fond, alors que le Bureau de l’Assemblée n’a constitutionnellement qu’un pouvoir de vérification formelle.
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Gel de plus de 60 propositions de loi, pourtant recevables, sans aucune transmission aux commissions permanentes.
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Absence totale de commissions d’enquête parlementaire depuis 2011, en dépit des nombreuses demandes déposées depuis 2021.
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Neuf interpellations restées sans réponse, parfois depuis plusieurs années, en violation des délais imposés par la Constitution (48 heures pour la transmission, 30 jours pour la réponse).
Pour les députés, ces pratiques neutralisent les missions essentielles du Parlement et réduisent l’APN à un rôle de chambre d’enregistrement.
Une démarche institutionnelle et non politique
Abdelouahab Yagoubi insiste sur le fait que la démarche n’a « aucune dimension politique ». Il affirme qu’il s’agit d’une obligation constitutionnelle face à la dérive observée. Pour lui, la question est fondamentale :
« À quoi sert un Parlement si ses membres ne peuvent ni légiférer ni contrôler l’action du Gouvernement ? »
Cette action relance le débat sur la réalité du pluralisme parlementaire et sur l’efficacité des réformes institutionnelles proclamées depuis 2020.
La grande inconnue : la Cour constitutionnelle acceptera-t-elle d’instruire la requête ?
L’un des points d’interrogation majeurs concerne la réaction de la Cour constitutionnelle. Le précédent de septembre 2025, lorsqu’elle avait rejeté une saisine du MSP concernant le report de l’ouverture de la session parlementaire, laisse peu d’espoir. Beaucoup estiment que cette institution n’a jamais brillé par son indépendance.
Un révélateur d’une crise institutionnelle plus profonde
Cette initiative montre l’ampleur du malaise à l’intérieur même du Parlement. Elle met en lumière la perte de confiance de nombreux élus envers les mécanismes censés garantir l’équilibre des pouvoirs. Plusieurs observateurs soulignent que le problème se situe moins dans les textes que dans la manière dont les institutions fonctionnent réellement.
Vers une réaffirmation du rôle de contrôle du Parlement ?
Il est peu probable que cette initiative fasse vaciller le système politique, mais elle révèle une crise institutionnelle plus large. Dans un pays où le Parlement n’a jamais réellement joué son rôle, l’acte des 42 députés constitue un signal politique fort.
Reste à savoir s’il ouvrira une brèche dans l’architecture institutionnelle… ou s’il finira enterré comme les 60 propositions de loi qui dorment encore dans les tiroirs de l’APN.



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