Algérie

Procès avorté de Khaled Nezzar : les victimes saisissent la Cour européenne des droits de l’homme

Treize années de procédure, cinq procureurs successifs, un acte d’accusation déposé in extremis… et un procès qui n’aura jamais lieu. L’affaire Khaled Nezzar, du nom de l’ancien ministre algérien de la Défense poursuivi en Suisse pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, s’est soldée par un non-lieu retentissant après son décès en décembre 2023. Pour les victimes, privées d’audience et de reconnaissance judiciaire, c’est une double peine. Elles portent désormais leur combat devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dénonçant une justice paralysée et une impunité préservée.

Un symbole de la compétence universelle, étouffé par l’inaction

L’affaire avait pourtant marqué un tournant historique : c’était la première fois qu’un haut responsable militaire étranger était poursuivi en Suisse pour des crimes internationaux, sur la base du principe de compétence universelle. L’enquête avait été ouverte en 2011 à la suite d’une dénonciation de l’ONG TRIAL International, documentant des actes de torture, exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées commis dans les années 1990, durant la sanglante « décennie noire » en Algérie.

Mais treize ans plus tard, le procès n’a jamais pu avoir lieu, et l’acte d’accusation n’a été prononcé que le 28 août 2023, soit quatre mois avant la mort de Nezzar. En juin 2024, un procès devait enfin s’ouvrir. Il n’aura jamais lieu.

Un déni de justice selon les plaignants

Pour deux plaignants, représentés par les avocates Orlane Varesano, Sophie Bobillier et Sofia Vegas, cette procédure avortée constitue un déni de justice. Le 10 mars 2025, leurs recours pour violation du principe de célérité ont été rejetés par le Tribunal pénal fédéral, qui a jugé « acceptable » la durée totale de la procédure, malgré les longues périodes d’inactivité et les multiples changements de procureurs.

Les victimes saisissent donc aujourd’hui la CEDH, estimant que la Suisse a violé leurs droits à un procès équitable (article 6) et à un recours effectif (article 13) tels que garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. « Nos clients n’ont pas seulement été privés d’un procès : ils ont été victimes d’un nouveau type de violence, celle de l’oubli, de l’inaction et de l’abandon », dénoncent leurs avocates.

TRIAL International : une impunité organisée

Pour TRIAL International, cette affaire révèle les carences systémiques de la justice suisse en matière de crimes internationaux. L’ONG déplore une absence de moyens, des lenteurs administratives chroniques et, plus grave encore, de possibles pressions politiques ayant conduit à affaiblir le dossier. Elle appelle aujourd’hui les autorités à tirer les conséquences de cet échec et à garantir à l’avenir que « les victimes de crimes de masse soient entendues dans des délais compatibles avec les exigences de la CEDH ».

Un précédent inquiétant Au-delà du cas Nezzar, ce procès manqué pose une question plus large : la Suisse est-elle réellement prête à jouer son rôle dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux ? Pour les survivants et les proches de disparus de la décennie noire algérienne, la réponse reste suspendue à la décision de la Cour européenne.

La rédaction.

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