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Par Pedro Canales

Certains médias espagnols – journaux, portails ou pages d’analystes de l’actualité – relaient ces jours-ci des rumeurs selon lesquelles le Maroc préparerait une invasion pacifique de Ceuta et Melilla, à travers une « nouvelle Marche Verte » qui mobiliserait deux millions de personnes. La date butoir évoquée serait le 17 septembre, jour férié à Melilla, qui commémore le 528e anniversaire de la prise de la ville par les troupes castillanes sous le commandement du duc de Medina Sidonia, Pedro de Estopiñán.

Ces médias se basent sur des articles publiés dans la presse marocaine et sur des « sources des services de renseignement espagnols ». Ces sources ne peuvent être que le Centre national de renseignement (CNI) et les services de la Garde civile, puisque l’armée, par la voix de son chef d’état-major, l’amiral Teodoro López Calderón, a écarté tout signe d’une invasion des deux villes par le Maroc.

La rumeur est en elle-même fantaisiste, incohérente et provocatrice. Son objectif est d’accuser le gouvernement espagnol de négligence, de semer l’alarme parmi les 170 000 habitants de Ceuta et Melilla (certains d’origine hispanique, d’autres musulmans), et de présenter le Royaume du Maroc comme « le loup qui menace le troupeau d’agneaux ».

Le loup n’attaque le troupeau que pour deux raisons : par faim, ou par besoin de nouveaux territoires lorsque sa population devient trop importante. Si le Maroc annexait Ceuta et Melilla, il n’y trouverait pas la « nourriture » recherchée, car ces deux villes ne disposent d’aucune richesse stratégique, et ne survivent que grâce au commerce, au budget espagnol et aux aides européennes. Devenues marocaines, Ceuta et Melilla perdraient leur financement.

Quant à l’extension territoriale, à l’image du Lebensraum allemand, le Maroc dispose d’un espace vital suffisant – encore plus depuis la « marocanisation du Sahara » – et n’a nul besoin des 31,3 km² que représentent les deux villes, ni de leurs ports. Dans la zone du détroit où se situe Ceuta, le Maroc dispose d’un méga-port à Tanger et d’un port militaire à Ksar Sghir. Sur la rive méditerranéenne, où se trouve Melilla, il possède les ports de plaisance de Tétouan, M’diq et Saïdia, le port d’Al Hoceïma, et bientôt un méga-port à Nador.

Le gouvernement espagnol – tous ceux qui se sont succédé depuis la transition démocratique, et même auparavant sous le franquisme –, l’armée, les forces de sécurité et les services de renseignement savent que la revendication marocaine sur les deux villes existe, mais qu’elle a toujours été formulée en termes politiques. Le Royaume du Maroc – que ce soit sous Hassan II ou son fils Mohammed VI – a toujours cherché des formules de co-souveraineté, des accords d’État à État, permettant au drapeau marocain de flotter aux côtés du drapeau espagnol.

Les mesures de pression périodiques exercées par la monarchie alaouite sur les deux villes – en autorisant l’entrée de milliers de migrants clandestins, dont beaucoup de mineurs, ou le passage de drogues, en ouvrant ou fermant les douanes, ou en restreignant des autorisations et droits commerciaux qui étaient considérés comme acquis – étaient destinées à faire pression sur le gouvernement central pour qu’il fasse des concessions sur d’autres sujets : le conflit du Sahara, les eaux territoriales, les espaces aériens. Rabat n’a jamais utilisé ces « chantages », selon le point de vue espagnol, ou ces « pressions », selon la version marocaine, comme un moyen d’annexer Ceuta et Melilla.

Le Royaume du Maroc continue de porter ses revendications, mais dans une optique pragmatique : il souhaite que Ceuta et Melilla hissent le drapeau marocain, tout en bénéficiant du soutien économique et commercial de l’Union européenne à travers les investissements étrangers.

Des intérêts cachés sont à l’œuvre dans la diffusion de ce type de « fausses bombes médiatiques ». Ils émanent peut-être d’acteurs souhaitant empoisonner les relations hispano-marocaines : d’autres pays du Maghreb en conflit avec le Maroc, ou de grandes puissances cherchant à dominer ou à s’implanter dans la région de la Méditerranée occidentale et du détroit de Gibraltar. Il est significatif que le journal en ligne du Front Polisario, El Confidencial Saharaui, affirme que l’Espagne disposerait de peu d’alliés si un tel conflit venait à éclater. Et parmi ces « alliés », il cite l’Algérie, le Front Polisario, l’Iran, la Russie, et d’autres.