Par : Abdelilah Anqir
Casablanca, 20 novembre 2025 – Enquête exclusive pour La Presse Marocaine

L’histoire, lorsqu’elle est revisitée loin des récits simplifiés, révèle que la Première Guerre mondiale n’a pas été seulement un affrontement entre puissances, mais aussi une scène d’intrigues où les Arabes payèrent l’un des prix politiques les plus lourds de leur histoire moderne. Des déserts d’Arabie aux bureaux secrets de Londres, les faits s’entremêlent pour dessiner un tableau dont les répercussions se font sentir jusqu’à aujourd’hui.

Cette enquête s’appuie sur les mémoires de Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de “Lawrence d’Arabie”, qui rapporte dans Les Sept Piliers de la Sagesse (1926) les détails du sabotage de la ligne de chemin de fer Istanbul – Médine en 1917. Lawrence raconte avoir posé sa main sur les rails piégés avant l’explosion en déclarant : « J’avais l’impression de toucher l’artère qui reliait les Turcs aux Arabes ; en la faisant sauter, nous l’avons sectionnée. » Un témoignage conservé aujourd’hui dans les archives britanniques.

Cependant, cette version britannique ne dissimule pas les limites de la contribution arabe. Lawrence décrit des combattants arabes “indisciplinés”, incapables de garder le silence même dix minutes, ce qui faillit compromettre l’opération. Après l’explosion, certains se mirent à récupérer des débris du train, négligeant la mission principale. Des analyses militaires publiées en 1930 dans The British Army Review y voient une illustration du manque de coordination arabe durant cette phase décisive.

L’enquête s’élargit avec les travaux de l’historien britannique Imayoun Dunsan, auteur de La Chute d’Istanbul (1964). Il affirme que la révolte arabe, nourrie par les promesses britanniques d’un grand État arabe unifié, fut l’un des principaux facteurs qui accélérèrent l’effondrement de l’Empire ottoman. Le chérif Hussein reçut la promesse d’un royaume allant de Damas à Sanaa, mais après la disparition du califat en 1924, Londres et Paris abandonnèrent cet engagement au profit de l’accord Sykes–Picot (1916), ouvrant la voie à la colonisation. Un scénario confirmé par les documents de l’ONU sur le partage du Moyen-Orient (1947).

Dunsan formule une question lourde de sens : « Comment l’Occident pourrait-il faire confiance à un peuple qui s’est retourné contre ses frères et contre l’État qui les unissait ? » Une interrogation appuyée par des archives ottomanes d’Istanbul, montrant que la révolte arabe a durablement terni la crédibilité politique des Arabes sur la scène internationale.

Un siècle plus tard, les dérives persistent à travers des récits historiques tronqués qui envahissent les réseaux sociaux. Une étude de l’Université du Caire (2023) révèle que 60 % du contenu historique diffusé sur TikTok contient des déformations majeures servant des agendas politiques modernes.

Comprendre l’histoire n’est pas un exercice de confrontation, mais un impératif pour saisir les complexités du présent. Comme le rappelle l’historien Eric Hobsbawm, les nations qui oublient leur histoire authentique s’exposent à ce que d’autres la réécrivent à leur place. Cette enquête appelle donc à revenir aux sources originales, afin de restaurer une mémoire collective menacée par la désinformation.