L’Union européenne répond aux déclarations du journaliste Hichem Aboud concernant son enlèvement en Espagne

Le journaliste algérien Hichem Aboud a reçu une réponse officielle à sa lettre adressée à la Présidente de la Commission européenne, à la Présidente du Parlement européen, et à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’homme.
M. Colin Steinbach, chef du département Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA MAGHREB) au sein du Service européen pour l’action extérieure, lui a écrit :
« Je vous remercie d’avoir présenté votre cas que nous avons lu avec attention. L’Union européenne suit de près la situation des droits de l’homme en Algérie, qui constitue un élément fondamental dans les relations entre l’Union européenne et l’Algérie, comme cela a été souligné dans notre accord de partenariat. »
Il a ajouté : « L’Union européenne exprime régulièrement ses préoccupations concernant les droits de l’homme et les libertés fondamentales auprès des responsables gouvernementaux algériens à tous les niveaux. »
Voici le contenu de la lettre de M. Hichem Aboud adressée aux responsables européens :
À l’attention de :
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Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne
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Roberta Metsola, Présidente du Parlement européen
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Kaja Kallas, Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
Objet : Enlèvement d’un journaliste algérien sur le sol européen
Mesdames, Messieurs,
Je suis Hichem Aboud, journaliste et écrivain algérien, auteur du livre Mafia des généraux (Éditions J.C Lattès, février 2002). J’ai été victime d’un enlèvement à Barcelone le soir du 17 octobre 2024, perpétré par quatre hommes armés et cagoulés. J’ai été contraint de monter dans un véhicule léger, puis transféré à Lebrija, une localité de la province de Séville en Andalousie, où il était prévu de me faire passer en Algérie par un bateau fluvial.
J’ai été sauvé in extremis par la Guardia Civil à Lebrija, alors que j’étais toujours au bord du grand fleuve. Deux membres de cette organisation terroriste qui m’a enlevé ont été arrêtés, l’un de nationalité marocaine, l’autre détenteur des nationalités française et sénégalaise. Ce dernier portait mon passeport algérien ainsi que mon portefeuille contenant mes documents d’identité.
Je tiens à saluer les agents de la Guardia Civil de Lebrija, toutefois leur présence sur les lieux était liée à une opération de contrôle d’un bateau fluvial transportant de la drogue, ce bateau sur lequel j’aurais dû être transféré avant d’être remis à un yacht algérien dans les eaux internationales. Ainsi, mon sauvetage relève d’une coïncidence.
Je précise que je ne suis ni homme d’affaires ni personne riche susceptible d’être ciblée par des terroristes ou des groupes criminels pour demander une rançon, et que je ne possède pas d’ennemis susceptibles de financer une organisation terroriste pour m’enlever, à l’exception du gouvernement algérien, dérangé par mes écrits et apparitions médiatiques.
Je suis en exil depuis le 17 février 1997, fuyant les injustices et les persécutions politiques en Algérie. J’ai été condamné à quatre peines de prison entre 1992 et 1996, trois journaux que j’avais fondés ont été interdits (deux quotidiens et un hebdomadaire), et ma carte de presse en tant que correspondant du Quotidien de Paris m’a été retirée en 1996.
Après avoir obtenu des garanties pour exercer mon métier librement en 2011 dans le contexte du « Printemps arabe », je suis retourné dans mon pays où j’ai fondé deux journaux, l’un en français, l’autre en arabe. Mais l’expérience n’a duré que 13 mois avant que les deux journaux soient interdits et que je sois poursuivi en justice, accumulant au total 77 années de prison en raison de mes opinions.
Après l’échec du gouvernement algérien à obtenir mon extradition malgré plusieurs mandats d’arrêt internationaux, il a inscrit mon nom sur la liste nationale des personnes et entités terroristes par arrêté ministériel en date du 6 février 2022, alors que je n’ai jamais porté d’arme ni constitué une menace sécuritaire. Cette mesure visait uniquement à faciliter mon extradition.
En novembre 2021, le gouvernement algérien a organisé une tentative d’assassinat par empoisonnement à Liège (Belgique), menée par deux agents de ses services de renseignement. Après cet échec, ils ont décidé de procéder à mon enlèvement à Madrid, sur ordre direct du président algérien Abdelmadjid Tebboune, comme l’a reconnu l’un des impliqués.
La justice belge a ouvert une enquête et a transféré le dossier au parquet national antiterroriste à Paris, où les investigations de la Direction générale de la sécurité intérieure ont confirmé l’implication du gouvernement algérien. Toutefois, le parquet a clos le dossier, estimant que « les accusés voulaient simplement me ramener en Algérie » sans usage de la violence, une décision contre laquelle j’ai fait appel devant le juge d’instruction antiterroriste, et j’attends toujours la réouverture de l’affaire.
L’enlèvement dont j’ai été victime le 17 octobre dernier est un crime prémédité par le gouvernement algérien, sans aucun doute. Les deux personnes arrêtées peuvent en témoigner. Les autorités espagnoles, qui m’ont interrogé après ma libération, disposent également de preuves solides impliquant les services de renseignement algériens. Le seul bénéficiaire de ce crime est le gouvernement algérien.
Je vous invite, mesdames et messieurs, à prendre en considération la confiance que le peuple européen vous a accordée, ce qui vous confère une lourde responsabilité pour défendre l’honneur de l’Europe et de ses peuples, au-delà des intérêts diplomatiques ou économiques.
Le fait que le gouvernement algérien ait perpétré un crime sur le sol espagnol et européen par l’intermédiaire d’une organisation criminelle constitue une violation flagrante de la souveraineté de l’Union européenne et une provocation à ses principes. Il n’y a donc aucune justification pour ne pas le condamner ou porter l’affaire devant les instances européennes compétentes.
Confiant dans votre intégrité et votre dévouement, je vous prie de prendre les mesures nécessaires dans de tels cas, afin de condamner le gouvernement algérien devant les institutions européennes et internationales.
Veuillez agréer, mesdames et messieurs, l’expression de ma plus haute considération.
Hichem Aboud