Europe

L’invisible « invité non invité » Le Front Polisario s’introduit au congrès du Parti populaire à Madrid

Les mensonges, les demi-vérités et les exagérations qui induisent en erreur ce que l’on appelle aujourd’hui les fake news produisent souvent des effets contraires à ceux recherchés par leurs auteurs. Le manipulateur finit par se piéger lui-même, sa réputation s’effondre et la confiance qu’il pouvait inspirer pour résoudre des différends s’évapore.

C’est exactement ce qui se passe avec le Front Polisario et sa prétendue « invitation officielle à participer aux travaux du XXIe congrès du Parti Populaire espagnol », qui s’est tenu à Madrid le week-end dernier.

Les invitations officielles à des événements majeurs qu’ils soient politiques, économiques ou culturels ne sont jamais faites oralement ou de manière informelle. Elles sont adressées par écrit, avec une lettre officielle portant l’en-tête de l’organisation, la date et un cachet.

Où est donc ce document que le comité organisateur du congrès aurait envoyé au Front Polisario pour l’« inviter officiellement » à l’un des événements politiques les plus importants que le parti organise selon ses statuts ? Tant que le mouvement sahraoui ne le présente pas, cette invitation n’existe pas. Il ne s’agit que d’une fake news.

En appliquant ce qu’on appelle la preuve par l’absurde : si une telle invitation officielle avait été transmise, vu l’importance de l’événement et le contexte politique délicat en Espagne  entre scandales de corruption touchant le Parti socialiste au pouvoir et la probable arrivée du Parti Populaire au gouvernement la direction du Front Polisario aurait envoyé une figure historique marquante, et non un simple fonctionnaire subalterne comme son délégué à Madrid. Si l’invitation était réelle, le Front l’aurait considérée comme une victoire diplomatique majeure. Nous sommes donc face à une déformation manifeste des faits.

La seule « preuve » invoquée est une photo accompagnée d’un message publié sur le compte X (anciennement Twitter) du député du Parti Populaire, Carmelo Barrio.

Sur la photo, on voit une toile de fond avec le logo du XXIe congrès, et le représentant du Polisario en Espagne, Abdulah Arabi, entouré de six personnes portant tous un badge d’accès au congrès. À sa droite se tient le député Carmelo Barrio.

Ce dernier a écrit :
« Aujourd’hui, au XXIe Congrès national du PP, nous avons reçu un invité très spécial : le délégué en Espagne du peuple sahraoui. De bons amis, délégués de toute l’Espagne, ont rencontré Abdulah Arabi, et nous avons offert notre accolade à ce peuple frère. »

L’information a été relayée par le journal El Independiente, fondé par Casimiro García-Abadillo, ancien directeur de El Mundo. Ce média a titré : « Le Front Polisario, invité au congrès national du PP », en s’appuyant uniquement sur les propos publiés par Carmelo Barrio. Toutefois, dans son message, celui-ci parle du « délégué du peuple sahraoui », sans mentionner explicitement le Front Polisario.

Mais le journaliste d’El Independiente est allé plus loin, en présentant Abdulah Arabi comme le « représentant de la République arabe sahraouie démocratique en Espagne », ce qui est non seulement exagéré, mais totalement faux.

Il n’existe en Espagne aucun représentant officiel de la RASD, car cet organisme n’est pas reconnu juridiquement. Ni le gouvernement espagnol, ni les 17 gouvernements autonomes n’ont reconnu cette entité. Il s’agit donc d’une nouvelle fausse information.

Le même média a tenté de nuancer en rappelant, à la fin du congrès, que le document politique officiel du Parti Populaire affirme vouloir « une relation équilibrée avec le Maroc et l’Algérie », qualifiés de « deux grands voisins sur notre flanc sud ».

Ce document précise que le PP prône le respect du droit international et des résolutions de l’ONU concernant le Sahara. Il ne parle ni « d’occupation », ni de « référendum », ni « d’autodétermination », encore moins d’une prétendue « république sahraouie ». Le parti appelle simplement au respect du droit international.

De son côté, l’agence de presse du Polisario, Sahara Press Service, a extrapolé davantage, affirmant que « le Front Polisario, invité spécial du PP, a participé activement aux travaux du congrès », et qu’il a rencontré des délégués pour les informer de la situation au Sahara.

Aucune photo ni preuve n’a été fournie pour corroborer ces prétendus échanges.

Le « grand succès » du Front Polisario repose donc uniquement sur la publication du député Barrio sur son compte personnel. Il ne s’agit ni d’un canal officiel du PP, ni d’une déclaration institutionnelle. Ce n’est qu’une opinion individuelle.

Selon certaines sources médiatiques, c’est Carmelo Barrio lui-même qui aurait introduit le représentant sahraoui au centre IFEMA, lieu du congrès, dans la grande salle accessible à tous. Mais aucune photo ne prouve même sa présence à la séance d’ouverture.

Durant cette séance, les dirigeants du PP, dont leur président Alberto Núñez Feijóo, se sont déplacés librement, saluant les participants, sans barrière de sécurité. Des centaines de jeunes ont pris des selfies avec le président et les ont publiés. Des vidéos officielles de plusieurs heures ont été diffusées par El Debate et El Mundo, sans jamais montrer la prétendue délégation sahraouie.

Tout indique que cette « participation historique » n’est qu’un montage orchestré par le député Carmelo Barrio, récemment nommé au Congrès des députés après le départ de Javier de Andrés, président du PP au Pays basque.

Barrio a quitté son poste de porte-parole du groupe parlementaire au Parlement basque pour rejoindre Madrid, où il a été remplacé par Laura Garrido.

Il convient de rappeler que dans les régions autonomes comme la Navarre ou le Pays basque, le Parti Populaire dispose de peu de sièges, contrairement à d’autres régions où il détient souvent la majorité.

Ces éléments permettent de relativiser la portée des initiatives individuelles de certains députés.

Enfin, le silence des médias algériens sur ce prétendu événement en dit long. L’agence officielle APS n’a pas repris l’information, ce qu’elle aurait fait si elle avait été crédible, surtout que l’Algérie est le principal soutien du Polisario. Si la nouvelle avait été réelle, elle aurait été médiatisée.

Il convient de rappeler que les meilleures périodes des relations entre l’Espagne et l’Algérie ont toujours eu lieu sous les gouvernements du Parti Populaire espagnol.

Par Pedro Canales.

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