Algérie

Le footballeur camerounais Albert Ebossé assassiné par les services de renseignement militaire algériens

Le journaliste algérien Hicham Aboud, ancien officier des renseignements militaires, a révélé que Albert Ebossé (Albert Dominique Ebossé Bodjongo Dika), attaquant camerounais évoluant au sein de la JS Kabylie et meilleur buteur du championnat algérien lors de la saison 2013–2014, a été assassiné par des agents liés, selon lui, à Djebbar M’henna, ex-patron du renseignement militaire algérien. Le meurtre aurait eu lieu après un match de championnat disputé à Tizi Ouzou, en Algérie, le samedi 23 août 2014. Ebossé, profondément respecté par ses coéquipiers, ses adversaires et les supporters, était devenu une figure emblématique du football algérien. La saison 2013-2014, il avait inscrit pas moins de 17 buts, terminant meilleur buteur du championnat, et c’est en grande partie grâce à ses efforts et ceux de ses coéquipiers que la JSK a atteint la finale de la Coupe d’Algérie 2014 et s’est classée vice-championne. Aboud attribue le mobile du crime à une vengeance personnelle impliquant la fille du général Abdelhamid « Ali » Bendaoud, et affirme que la version officielle a servi à couvrir l’affaire.

La version officielle et les contradictions

La version initiale entourant la mort d’Ebossé a été formulée immédiatement après le drame. Selon les premières informations, l’attaquant aurait été touché par un projectile lancé depuis les tribunes alors que les joueurs quittaient le terrain après une défaite 2–1 contre l’USM Alger, match au cours duquel Ebossé avait marqué le seul but de son équipe sur penalty. Peu après, le président du club Mohand Chérif Hannachi a affirmé qu’Ebossé avait succombé à une crise cardiaque consécutive à une glissade hors du terrain.

Le lundi 25 août 2014, le parquet de Tizi Ouzou a publié un communiqué annonçant l’ouverture d’une enquête formelle et précisant que les premiers résultats de l’autopsie indiquaient une mort due à un traumatisme provoqué par un objet contondant et tranchant, ayant causé une hémorragie interne. Quelques jours plus tard, une troisième version est avancée : le ministre des Sports Mohamed Tahmi affirme que la blessure mortelle aurait été causée par un éclat de tuile (ardoise) tranchant.

Aboud souligne les incohérences de ces versions : la section du stade fermée depuis 2001 a été laissée ouverte au public, avec accès aux pierres d’un terrain mitoyen, et le tunnel rétractable censé protéger les joueurs n’a pas été déployé ce jour-là.

Rapports des médias algériens

Selon les récits de la presse algérienne à l’époque, l’incident ayant entraîné la mort d’Ebossé s’est produit peu après le coup de sifflet final du derby JSK–USMA. Malgré une ambiance fair-play sur le terrain, une pluie de pierres a soudainement été lancée depuis les tribunes, contraignant joueurs et officiels à se regrouper au centre du terrain vers 20h45. Alors que les projectiles cessaient, Ebossé a tenté de rejoindre les vestiaires. Selon les médias algériens, à moins d’un mètre de l’entrée du tunnel, il aurait été frappé à la tête par un objet, avant de s’effondrer sur la piste d’athlétisme. Les services de protection civile l’ont rapidement transporté au CHU Nedir Mohamed, où les tentatives de réanimation ont échoué.

Ebossé souffrait d’un traumatisme sévère à la nuque. Il est décédé moins de 20 minutes après son admission, peu avant 22h. La nouvelle s’est propagée rapidement, et des centaines de supporters de la JSK se sont rassemblés devant l’hôpital, incrédules. Beaucoup refusaient de croire que leur idole, qui avait égalisé quelques instants plus tôt, était mort.

L’ambiance était à la consternation et à la douleur. Joueurs, dirigeants et supporters étaient en larmes, tandis que la nouvelle provoquait une onde de choc internationale, relayée par les médias mondiaux. Le lendemain matin, la morgue du CHU de Tizi Ouzou était submergée par des fans venus lui rendre un dernier hommage, sous haute surveillance policière et en présence de nombreux journalistes nationaux et étrangers. Vers 13h, le corps d’Albert Ebossé a été transféré à l’Hôpital militaire central d’Alger, en vue de son rapatriement au Cameroun.

Autopsie camerounaise et preuves de violences

En décembre 2014 et 2015, Afrik.com, The Guardian, la BBC et Al Jazeera ont rapporté qu’une seconde autopsie avait été pratiquée à Douala, au Cameroun, par les docteurs André Mouné et Fabien Fouda, à la demande de la famille. Leurs constats faisaient état de traumatismes crâniens et cervicaux sévères, d’une épaule déboîtée, et de signes de lutte violente. Les médecins ont conclu qu’Ebossé avait probablement été passé à tabac, et non touché par un projectile, ce qui suggère violence et meurtre. Le rapport indique : « L’examen des blessures suggère qu’Albert Ebossé a été maîtrisé de force. Son bras gauche a été tiré vers l’arrière, et en se débattant, son épaule s’est déboîtée. Il a dû résister et a été frappé sur le crâne. Cela a déplacé les os de la base du crâne, d’où la présence de liquide céphalo-rachidien. »

Accusations d’Aboud et sources invoquées

Dans une vidéo YouTube récente, Aboud affirme avoir été contacté par des personnes “directement impliquées dans l’enquête” ou “proches des enquêteurs officiels”. Selon lui, ces sources sont des membres des services de sécurité intérieure algériens (DSI), qui lui auraient confirmé que le meurtre avait été ordonné par le général Abdelhamid « Ali » Bendaoud, alors chef du renseignement intérieur et ancien attaché de sécurité à Paris et Genève. Le mobile serait une relation amoureuse entre Ebossé et la fille du général.

Aboud affirme aussi que le général Djebbar Mehenna, alors patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), aurait été sollicité pour organiser l’opération. Disposant d’une forte influence sur les dirigeants de la JSK, Djebbar aurait envoyé trois agents du régime pour exécuter l’agression dans les vestiaires.

Ces informations, selon Aboud, lui ont été confirmées par des sources sécuritaires “ayant accès au dossier”, ainsi que par des membres anonymes de la JSK au courant de la relation entre Ebossé et la fille du général. Il cite également le journaliste Mohamed Tamalt, mort en détention en 2016, qui avait relayé les mêmes allégations, bien qu’aucun document public ne corrobore cette affirmation.

Inaction judiciaire et dimensions internationales

Aboud indique avoir été contacté par le frère aîné d’Ebossé, qui envisage aujourd’hui une action judiciaire internationale. Il s’est engagé à témoigner et à fournir des documents à l’appui de la procédure. Qualifiant l’Algérie de “régime de voyous”, il appelle la famille à se tourner vers la justice camerounaise et les juridictions internationales, avec la possibilité de demander des mandats d’arrêt contre les généraux Djebbar Mehenna et Abdelhamid Bendaoud. Il déconseille de saisir la justice algérienne, qu’il juge soumise à l’appareil sécuritaire, incapable de poursuivre des hauts gradés, et structurellement bloquée pour tout dossier impliquant l’armée.

En juillet 2025, le dossier reste clos. Aucune enquête n’a été rouverte ni en Algérie ni au Cameroun, et aucune inculpation nationale ou internationale n’a été prononcée dans l’affaire de la mort d’Albert Ebossé. FIFA et la CAF n’ont toujours pas réagi, ni appelé à une nouvelle enquête.

Aucune autorité algérienne, civile ou militaire, n’a publiquement répondu aux accusations d’Aboud.

Abderrahmane Fares.

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