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Par : Abderrahmane Fares

Abdelmadjid Tebboune a affirmé qu’Israël avait prévu de bombarder Alger en 1988, et que la cible était le Club des Pins, l’enclave côtière hautement sécurisée située à l’ouest de la capitale, qui abrite des hauts fonctionnaires, des délégations étrangères et le Palais des Nations, le principal lieu de conférences présidentielles et de réunions diplomatiques de l’État.

Cette déclaration a été faite lors d’une allocution télévisée devant les officiers supérieurs de l’armée au ministère de la défense le 8 octobre 2025. Tebboune a décrit ce plan présumé comme une preuve de la résistance de longue date de l’Algérie aux menaces sionistes et aux « dangers qui se tramaient contre l’Algérie » lors de son soutien à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Dans son intervention, Tebboune a fait référence à l’année 1982, lorsque l’Algérie a accueilli Yasser Arafat et les membres de l’OLP après leur expulsion du Liban, et à la déclaration d’indépendance palestinienne de 1988, proclamée par Arafat au Palais des Nations, dans le complexe du Club des Pins. Tebboune a affirmé que « même le bombardement du Club des Pins (par Israël) » avait été planifié à l’époque mais que l’Algérie « n’a pas reculé« .

Après une première vérification, nous n’avons trouvé aucun document historique ou de renseignement étayant cette affirmation. Nous avons donc mené une enquête plus approfondie et examiné des dossiers déclassifiés de la CIA, des archives israéliennes, et notre conclusion est catégorique : il n’y a aucune référence à une frappe planifiée sur Alger ou Club des Pins en 1988.

LE RENSEIGNEMENT ALGÉRIEN N’A JAMAIS SIGNALÉ DE MENACE ISRAÉLIENNE EN 1988

Hichem Aboud, ancien officier du renseignement et journaliste, a expliqué dans une vidéo publiée le 14 octobre 2025 sur sa chaîne YouTube qu’il faisait partie des quatre officiers chargés de l’organisation et la supervision du dispositif de renseignement lors de la session de 1988 aux côtés de Mohamed Betchine, Smain Lamari et Mohammed Tahar Abdeslam.

Aboud a catégoriquement rejeté l’existence de toute discussion, analyse, alerte ou note de renseignement interne évoquant une menace de bombardement israélien au sein du renseignement militaire algérien sur Club des Pins en 1988. Selon lui, Israël — comme la plupart des agences occidentales — avait plutôt tendance à surestimer les capacités militaires algériennes et, par conséquent, à éviter toute action directe contre le pays, une appréciation que nous avons corroborée par les archives israéliennes et de la CIA examinées par nos soins.


Hichem Aboud, ancien officier du renseignement algérien et journaliste, affirmant dans sa vidéo du 14 Octobre 2025 avoir supervisé la sécurité du sommet palestinien de 1988 au Club des Pins et traite de mensonge les propos de Tebboune sur une menace israélienne.

Aboud a précisé que si l’Algérie avait maintenu un état de vigilance élevé lors des grands rassemblements palestiniens de 1983 et de 1988, les mesures de sécurité appliquées relevaient de la précaution ordinaire et non d’une réponse à une menace de bombardement israélienne. Le choix du Palais des Nations au Club des Pins résultait précisément de l’absence, selon leur évaluation, de toute menace sérieuse : si une évaluation crédible du risque de bombardement avait existé, une autre salle et des dispositions différentes auraient été retenues.

Aboud a également détaillé son implication directe dans le suivi du dossier palestinien : sa coordination avec les services palestiniens, notamment avec Abou Iyad (Salah Khalaf) et Abou al-Houl (Hayel Abdel-Hamid), responsables de la sécurité et du renseignement de l’OLP, ainsi qu’avec Abou Ammar (Yasser Arafat) lui-même; la supervision des habilitations de visas pour les journalistes, et les opérations de contre-espionnage menées conjointement avec le service de sécurité intérieure dirigé par Smaïl Lamari. Les services algériens avaient étudié et enquêté sur plusieurs opérations israéliennes antérieures — notamment les incidents de Hammam Chett/Carthage et l’assassinat d’Abu Jihad (Khalil al-Wazir) — afin d’en tirer les enseignements en matière de modes opératoires. Il affirme s’être rendu personnellement en Tunisie sur les lieux de ces opérations pour y conduire des observations et des analyses.

Enfin, Aboud a rappelé qu’aucun des présidents algériens précédents — Chadli Bendjedid, Liamine Zeroual ou Abdelaziz Bouteflika — n’a jamais évoqué la menace de 1988.

« Tebboune n’avait absolument aucun rôle dans les événements palestiniens de 1988 ; il était alors à l’écart » (ndlr : wali de Tiaret, à 270 km au sud-ouest d’Alger). « Je ne comprends pas d’où il sort cette histoire. », et de conclure : « Non, cela n’a jamais eu lieu. Il ment. »

LES ARCHIVES ISRAÉLIENS NE MONTRENT AUCUN PROJET D’ATTAQUE CONTRE L’ALGÉRIE

Notre examen des documents du Parlement israélien (Knesset), des rapports gouvernementaux et diplomatiques israéliens, des archives, des documents militaires et de renseignement – y compris des transcriptions du Comité ministériel pour les affaires de sécurité, chargé d’approuver de telles opérationsn’a trouvé aucune preuve de plans israéliens, d’études d’urgence ou de planification opérationnelle concernant une attaque contre l’Algérie ou le « Club des Pins » en 1988. Toutes les sources israéliennes disponibles des années 1960 à la fin des années 1980 décrivent l’Algérie comme un « État politiquement radical mais militairement périphérique » – un acteur secondaire dans la coordination arabe, et non une cible directe d’intérêt opérationnel.

Exemples de sources et archives israéliennes consultées lors de notre enquête (1965–1990) : Almanach du gouvernement 5728 (1967–1968), Bureau du Premier ministre ; Centre d’information gouvernemental (Merkaz HaHasbará) — Almanach du gouvernement 1992–1994 ; Publications gouvernementales 1996–2000, transcriptions du Comité ministériel pour les affaires de sécurité.

LA CIA JUGEAIT UNE FRAPPE ISRAÉLIENNE SUR L’ALGÉRIE “IMPROBABLE ET À TRÈS HAUT RISQUE”

Le 29 décembre 1985, à la suite du raid aérien israélien sur Hammam al-Shatt, en Tunisie, la CIA a réalisé une analyse détaillée intitulée Israeli Capabilities for Striking PLO Bases (Capacités israéliennes pour frapper les bases de l’OLP). Cette analyse identifiait les capacités aériennes d’Israël, les systèmes de défense aérienne algériens et les camps palestiniens de Tébessa et d’Arzew. Ces évaluations de la CIA ont conclu qu’une attaque similaire contre l’Algérie était très improbable et que, même si Israël devait un jour opérer sur le territoire algérien, une telle attaque ne viserait pas les installations du gouvernement algérien et serait irréalisable sur le plan logistique et injustifiable sur le plan politique, décrivant toute attaque potentielle comme « à haut risque » et « improbable sans le soutien des États-Unis ».

Rapport déclassifié de la CIA (29 déc. 1985) intitulé « Capacités israéliennes pour frapper les bases de l’OLP » (Direction du renseignement). Il évalue la capacité d’Israël à atteindre des sites de l’OLP en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en signalant notamment une base de l’OLP à Tébessa et Arzew, situées à au moins 2 500 km de Tel-Aviv. Le rapport décrit des défenses aériennes limitées sur la frontière est algérienne et conclut que toute frappe israélienne contre l’Algérie exigerait un soutien logistique important et présenterait un risque opérationnel élevé.

Pris dans leur ensemble, les sources algériennes, israéliennes, et américaines indiquent qu’il n’y a jamais eu de planification de frappe israélienne, d’exercice ou d’alerte de renseignement concernant Alger. Tout indique que l’histoire du bombardement de « Club des Pins » en 1988 est une construction dérivée d’une rumeur et élevée plus tard au rang de mythe.

LE PRÉTENDU “BOMBARDEMENT DU CLUB DES PINS” REPOSE SUR UNE RUMEUR DE BLOG DE 2017

Le mythe de l’« attentat de Club des Pins » de 1988 trouve son origine dans un article de blog publié en 2017. Il s’agit d’une anecdote non vérifiée, rapportée pour la première fois en 2017 par l’écrivain autrichien spécialisé dans l’aviation Tom Cooper, sur le site War Is Boring (un magazine en ligne appartenant à Bright Mountain Media, aujourd’hui expiré). Dans cet article, Cooper cite un ancien officier de l’armée de l’air tunisienne, resté anonyme, qui aurait affirmé que les radars algériens avaient détecté des avions non identifiés approchant depuis l’est lors du Conseil national palestinien de novembre 1988 à Alger — des F-15 israéliens, selon lui, qui auraient fait demi-tour après avoir été repérés par les radars. L’article de blog ne présentait aucune preuve des affirmations de cet officier anonyme : ni données radar, ni photos, ni journaux de vol, ni corroboration provenant de sources crédibles et identifiées, juste le récit témoignage anonyme.

L’histoire a été enjolivée un an plus tard par le blogueur algérien Akram Kherief dans Middle East Eye (2018), qui y a ajouté des détails dramatisés — communications d’Air France interceptées, frégates soviétiques, mobilisation et panique générale de l’armée algérienne — sans apporter la moindre preuve nouvelle. Kherief n’a fourni aucun élément concret pour étayer ces ajouts. Par la suite, des médias nationalistes et de propagande militaire ont repris et amplifié ces affirmations entre 2019 et 2021, notamment Maghreb Intelligence, Military Watch Magazine et QG Décolonial. Ces articles ont ensuite été utilisés comme sources sur Wikipédia pour la page consacrée à l’« Operation Wooden Leg », créant une chambre d’écho basée exclusivement sur le billet de blog initial de Cooper.

Outre la falsification désormais documentée, Tom Cooper, Akram Kherief et une série de blogueurs et contributeurs dérivés sur Wikipédia ont négligé de vérifier le fait stratégique le plus élémentaire : au milieu des années 1980, Israël avait déjà abandonné les raids de bombardement à longue portée au profit d’opérations de renseignement de précision et de commandos ciblés.

Après la découverte en 1984 de deux cargos achetés par le Fatah — Moon Light et Ataviros — destinés à transporter des commandos vers les côtes israéliennes, la marine israélienne lança l’opération Way of the Hawk : une mission de reconnaissance et de sabotage à longue distance qui aboutit à la destruction du Moonlight dans le port d’Annaba, en Algérie.

L’Atavarius, devait déposer vingt-huit combattants du Fatah, formés en Algérie sous la supervision directe d’Abou Jihad, sur la plage de Bat Yam, près de Tel-Aviv. Leur plan prévoyait de détourner un autobus et de prendre d’assaut le siège de Tsahal. Le 19 avril 1985, le patrouilleur israélien INS Moledet (classe Saar 4), commandé par le capitaine Danny Halevi, localisa et intercepta le Ataviros au large de Port Saïd en Tunisie, après plusieurs semaines de recherches aériennes infructueuses. Sommé de faire demi-tour, le navire ouvrit le feu à la roquette ; en riposte, le Moledet tira quarante-deux obus de 76 mm, provoquant le naufrage du bâtiment. Huit combattants furent repêchés vivants et vingt périrent. Plus tard la même année, deux autres commandos du Fatah formés en Algérie — les missions Casselardit et Ganda — furent interceptés en mer avant d’atteindre Israël. Cette série d’événements mena à la frappe aérienne sur Tunis en octobre 1985 (Operation Wooden Leg), visant Force 17, et, trois ans plus tard à l’élimination avec précision chirurgicale d’Abou Jihad à Tunis en avril 1988.

UN RAID IMPOSSIBLE EN 1988 : L’ALGÉRIE N’ÉTAIT NI ACCESSIBLE, NI CIBLABLE, ET ISRAËL N’AVAIT NI LE BESOIN, NI LES MOYENS, NI L’INTÉRÊT DE FRAPPER ALGER

En 1985, l’opération Wooden Leg avait déjà repoussé les limites techniques extrêmes de l’Armée de l’air israélienne. Elle nécessita des ravitaillements en vol par des KC-707 américains, une pénétration à très basse altitude au ras de la mer, et un retour calculé à la goutte de carburant près. Répéter une telle mission contre Alger aurait exigé au moins deux ravitaillements, le franchissement de couloirs radar de l’OTAN ou d’espaces aériens arabes — impossibles à traverser sans coordination américaine, silence de l’OTAN et effet de surprise total, conditions inexistantes en 1988.

La base tunisienne de Hammam Chett, située à environ 1 500 km de la base israélienne de Nevatim, était directement exposée à la mer, offrant un axe d’approche idéal à basse altitude. Alger, en revanche, se trouve à 800 km supplémentaires au-delà de Hammam Chett, au cœur d’une ceinture côtière montagneuse, protégée par les radars de Skikda, Jijel et de nombreuses autres stations, et défendue en 1988 par des systèmes d’alerte avancés fournis par l’Union soviétique, ainsi que par des intercepteurs MiG-25 basés à Boufarik, Biskra et Blida. Là où la Tunisie offrait un espace ouvert et sans défense aérienne, l’Algérie représentait un environnement fortifié et saturé de radars.


Trajectoire réelle du raid israélien sur Hammam Chott (1985). Le couloir maritime entre Nevatim et Tunis offrait un axe dégagé, sans obstacle topographique ni couverture radar hostile, permettant un vol à basse altitude et à longue distance.
Trajectoire hypothétique d’un raid vers Alger. L’approche aurait traversé un relief montagneux, sous la couverture des radars soviétiques et à proximité des bases d’intercepteurs MiG-25, rendant toute opération de bombardement impossible en 1988.

La frappe de 1985 visait un centre de commandement actif — celui de Force 17 et la salle d’opérations d’Abou Jihad, d’où étaient coordonnés en temps réel les attentats de Larnaca et de Rome–Vienne. À l’inverse, le Congrès du Conseil national palestinien de novembre 1988 à Alger était un événement diplomatique, non une réunion de guerre. Les délégués y étaient des représentants politiques, non des unités combattantes. Aucune source de renseignement — ni israélienne, ni américaine, ni autre — n’a jamais indiqué qu’une quelconque opération militaire y était dirigée. Une frappe sur Alger aurait relevé du massacre politique, non du contre-terrorisme : elle aurait visé des symboles, non des combattants.

En 1985, la Tunisie était diplomatiquement isolée et militairement faible. Le cout d’un bombardement n’était pas élevé. En 1988, l’Algérie, au contraire, était un État majeur de l’OPEP, membre influent de la Ligue arabe et partenaire privilégié de Moscou comme de Paris. Une frappe sur Alger aurait donc risqué d’entraîner une crise diplomatique simultanée avec l’Union soviétique et la France, totalement injustifiable au moment où Israël cherchait à maintenir le soutien occidental en pleine Première Intifada.

Sur le plan politique Israélien, l’opération supposée de Club des Pins se serait située neuf jours après les élections législatives israéliennes de 1988, alors qu’aucune coalition gouvernementale n’était encore formée — rendant toute autorisation d’une frappe stratégique à longue portée à la fois procéduralement impossible et stratégiquement absurde.

Après 1985, la doctrine israélienne des bombardements à longue distance fut abandonnée au profit d’une stratégie d’élimination ciblée et d’actions clandestines de précision. L’élimination d’Abou Jihad à Tunis en avril 1988, menée par un commando israélien, illustra ce tournant doctrinal : Israël ne comptait plus sur le bombardement pour neutraliser ses adversaires, mais sur des opérations chirurgicales fondées sur le renseignement. La frappe de Hammam Chett en 1985 fut une opération unique et l’exception, rendue possible par une cible côtière vulnérable et accessible, une surprise totale, et un lien opérationnel direct avec des attentats du moment. Alger ne remplissait aucune de ces conditions. En Novembre 1988, toute l’architecture israélienne de la lutte antiterroriste s’était déjà réorientée vers la précision clandestine, non vers des bombardements à haut risque. Prétendre le contraire, c’est ignorer la géographie, la technologie, la doctrine aérienne et l’histoire stratégique elle-même.

Le mythe d’un plan israélien visant Alger en 1988 ne tient pas sous le poids des faits, de la logique militaire, stratégique comme politique.

POURQUOI TEBBOUNE A INVENTÉ UN BOMBARDEMENT ISRAÉLIEN CONTRE ALGER

L’intérêt de cette déclaration réside donc ailleurs. En réactivant la figure de “l’ennemi extérieur”, le président Abdelmadjid Tebboune cherche à mobiliser l’appareil militaire et à réancrer son pouvoir dans la rhétorique nationaliste et antisioniste. Elle intervient alors que l’Algérie est marginalisée sur la scène régionale : absente du sommet de Charm el-Cheikh sur Gaza, ignorée dans la vague de reconnaissances diplomatiques de la Palestine menée par la France, le Royaume-Uni et l’Arabie saoudite, et sans rôle concret dans les négociations au Proche-Orient.

Ce que Tebboune présente comme une révélation historique relève en réalité de la mise en scène politique, repositionnant l’armée comme “gardienne de la nation” et lui-même comme héritier du mythe boumediéniste.

Mais le contexte éclaire tout : l’Algérie est absente de la scène régionale, exclue du sommet de Charm el-Cheikh, ignorée dans les initiatives diplomatiques occidentales, et isolée dans les pourparlers sur Gaza. Pendant qu’Israël frappe la Syrie, l’Iran, le Yémen, voire le Qatar, Tebboune, lui, invente une frappe sur Alger pour exister.

Sur le plan intérieur, le régime fait face à une usure politique et à un mécontentement croissant, notamment après la répression des manifestations pro-palestiniennes et le silence du gouvernement sur l’arrestation de 17 Algériens lors d’une flottille pour Gaza, parmi lesquels Abderrazak Makri, ancien chef du MSP.

Par pur réflexe d’irrélevance, Tebboune fouille les archives de 1988 pour y exhumer une menace fantôme, espérant se replacer, l’espace d’un discours, au centre de la scène. Une manœuvre dérisoire, destinée à détourner l’attention d’une réalité amère : un pays marginalisé, un régime contesté, et un président qui cherche dans les fantômes du passé le prestige qu’il n’a plus dans le présent.