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L’offre de dialogue de Mohammed VI déstabilise le régime algérien

Par Pedro Canales

Personne ne s’attendait à l’initiative formulée par le roi du Maroc, Mohammed VI, dans son discours du Trône, adressée au pouvoir algérien. La proposition d’un dialogue « franc et responsable… fraternel et sincère » avec l’Algérie, et l’idée d’un Maghreb uni reposant sur le binôme incontournable Alger–Rabat, ont surpris aussi bien les observateurs que les acteurs concernés.

Le régime algérien ne s’y attendait pas, pas plus que les puissances occidentales directement concernées par la pacification de l’Afrique du Nord – la France, les États-Unis, l’Italie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne – ni même la Russie et la Chine, qui s’efforcent de maintenir un équilibre délicat entre le Maroc et l’Algérie. Même les Marocains n’avaient pas anticipé cette initiative.

Les réactions ont varié selon les acteurs. À l’extérieur, elles sont marquées par la prudence : les puissances amies ou intéressées par la région attendent une réponse d’Alger et des précisions de Rabat. À Paris et à Madrid, on redoute particulièrement la formation éventuelle d’un axe Rabat–Alger doté d’une capacité de négociation susceptible de défier les pouvoirs politiques et économiques européens.

La France et l’Espagne, comme l’Italie et l’Allemagne, ont toujours privilégié les dialogues bilatéraux avec les pays du Maghreb, malgré leurs discours publics affirmant le contraire. Si la proposition de Mohammed VI se concrétise, elle pourrait ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre un Maghreb articulé autour du tandem algéro-marocain et ses partenaires extérieurs.

Le régime algérien n’a rien déclaré publiquement au sujet de l’offre marocaine de s’asseoir à la table des discussions, ce qui laisse penser qu’il a pris la proposition au sérieux, mais révèle également l’existence de divergences d’appréciation entre civils et militaires, entre la présidence, les forces armées et les services de renseignement – la triade du pouvoir en Algérie. Les précédents messages adressés par le souverain marocain au président algérien, à travers des discours officiels, avaient été publiquement rejetés, bien qu’ils aient transité par des canaux médiatiques et diplomatiques. Abdelmadjid Tebboune, principal destinataire de l’offre, est resté silencieux.

Côté marocain, les réactions mêlent éloges envers « la sagesse du Roi » et critiques envers « l’incapacité de l’Algérie à saisir la main tendue ». Mohammed VI a délibérément choisi la formule du « dialogue sincère » adressé à « nos frères algériens », ce qui contraste avec le ton souvent condescendant de nombreux commentateurs marocains envers leurs voisins maghrébins.

Des sources diplomatiques et de renseignement occidentales notent que le souverain alaouite n’a pas précisé à qui s’adressait son offre : au président Abdelmadjid Tebboune, au chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, ou aux services de renseignement civils et militaires. Mohammed VI parle de « nos frères algériens » sans plus de précision – ni au peuple algérien, dépourvu de toute capacité représentative, ni aux partis politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, réduits à un rôle décoratif.

Cette absence de précision est interprétée comme un signe de respect envers le pouvoir algérien : « S’il y a des problèmes au sommet de la hiérarchie en Algérie, c’est à eux de les régler », estime-t-on au palais royal de Rabat.

La proposition du monarque marocain a également été mal comprise par de nombreux analystes marocains et médias étrangers. En effet, Mohammed VI ne parle pas de résoudre le conflit du Sahara selon la formule « ni vainqueurs ni vaincus » comme dans une négociation bilatérale ou multilatérale. Il n’a pas mentionné le Front Polisario ni évoqué la reprise des négociations à quatre (Maroc, Algérie, Mauritanie, Polisario) initiées par l’ONU et bloquées par Alger et Tindouf.

La formule « ni vainqueurs ni vaincus » s’applique à un conflit armé, non à un différend commercial, politique ou diplomatique. Dans le cas du « différend du Sahara » évoqué par Mohammed VI, l’Algérie ne se considère pas comme partie au conflit. L’acteur concerné est le Front Polisario, mouvement armé ayant accepté le cessez-le-feu proposé par l’ONU en 1991, mais rompu en novembre 2020.

Le roi du Maroc propose donc une solution sans vainqueurs ni vaincus, sauvegardant « la dignité des parties », devant être acceptée par le groupe armé dépendant totalement de son parrain algérien pour le territoire, la logistique, l’armement, les vivres et le soutien politico-diplomatique. L’offre s’adresse donc à celui qui détient réellement le pouvoir de négocier et de décider : le régime algérien.

Le discours du Trône de Mohammed VI marque un tournant dans la géopolitique de l’Afrique du Nord et de la Méditerranée occidentale. Il constitue également un héritage politique que le souverain semble vouloir transmettre à son fils aîné, le prince héritier Moulay Hassan, de plus en plus proche de son accession au trône.

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