Par : Abderrahmane Fares

Lors de la 16ᵉ session de la CNUCED à Genève, le ministre algérien du Commerce extérieur et de la Promotion des exportations, Kamel Rezig, récemment nommé président du Conseil national économique, social et environnemental (CNESE) par Abdelmadjid Tebboune, a présenté un discours flatteur et volontariste sur l’Algérie, un “modèle en matière de soutien à la jeunesse et à l’entrepreneuriat”, rapporte l’APS et la télévision d’État Algérienne. Il a décrit « l’autonomisation des jeunes » comme un pilier central de la politique économique nationale et de développement durable.

Puisque Kamel Rezig s’est déplacé jusqu’à Genève au siège des Nations Unies pour vanter les mérites de l’Algérie en matière de jeunesse et d’entrepreneuriat, nous avons voulu vérifier ses affirmations. Pour cela, nous avons examiné systématiquement, résolution par résolution, les votes de l’Algérie aux Nations unies sur ces mêmes questions.

Le résultat est accablant : l’Algérie a voté contre toutes les résolutions liées à la jeunesse et l’entrepreneuriat depuis 2012. Une contradiction si flagrante qu’elle pose une question dérangeante : comment un responsable politique peut-il affirmer publiquement au siège des Nations Unies l’exact contraire de ce que son pays vote année après année dans cette même instance ? S’agit-il d’ignorance délibérée, de cynisme institutionnel, ou simplement du mépris absolu pour l’intelligence de son audience ?

L’ALGÉRIE A VOTÉ CONTRE TOUTES LES RÉSOLUTIONS DE L’ONU LIÉES À LA JEUNESSE ET L’ENTREPRENEURIAT DEPUIS 2012. UNE CONTRADICTION TOTALE AVEC LES DÉCLARATIONS DE KAMEL REZIG À L’ONU

Entre 1971 et 1990, l’Algérie vote favorablement sur six résolutions portant sur la jeunesse et l’entrepreneuriat.

À partir de 2012, l’Algérie bascule : elle vote contre sept résolutions consécutives sur l’entrepreneuriat pour le développement durable (2012, 2014, 2016, 2018, 2020, 2022, 2024). Ces résolutions sont adoptées en moyenne avec 79% de votes favorables. L’Algérie fait partie des 14% d’opposants avec le Venezuela, Cuba, l’Iran et la Syrie.

Parallèlement, l’Algérie s’abstient sur quatre résolutions successives concernant les politiques en faveur de la jeunesse (2014, 2018, 2020, 2022), des textes consensuels encourageant la participation civique, la promotion de la jeunesse, l’égalité des genres et la création d’emplois.

Le timing de ce revirement est révélateur : le premier vote négatif (décembre 2012) intervient dans le contexte du Printemps arabe qui a secoué la région entre 2010 et 2012, forçant l’Algérie à lever son état d’urgence après des manifestations populaires massives.

L’analyse des votes montre que l’Algérie partage 100% d’alignement avec la Syrie, le Venezuela et l’Iran, 77% d’alignement avec Cuba, 71% d’alignement avec la Corée du Nord. En revanche, elle est en opposition totale avec les pays leaders en innovation: 0% d’alignement avec la Suisse, l’Estonie et la Corée du Sud, moins de 15% d’alignement avec Singapore, le Japon, l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande

POURQUOI CE REFUS ?

L’Algérie justifie officiellement son opposition en qualifiant ces résolutions de « néolibérales » et « prescriptives ». Mais cette explication idéologique ne tient pas:

D’abord, le timing : pourquoi voter favorablement pendant 20 ans (1971-1990) sous les Présidences de Boumediène et Chadli, puis contre pendant 12 ans (2012-2024) sous Bouteflika et Tebboune ? L’idéologie néolibérale n’est pas apparue en 2012. Boumediène, bien qu’hostile au capitalisme, incarnait un anti-impérialisme de souveraineté nationale, pas de posture. Son socialisme d’État restait productiviste, non rentier, et visait la puissance économique autonome, à l’opposé du dirigisme dépendant, clientéliste et extractif consolidé sous Chadli, Bouteflika et Tebboune.

Ensuite, le contenu : ces résolutions ne sont pas contraignantes et 75-80% des pays membres, y compris des économies mixtes, des pays non-alignés et tiers-mondistes, les approuvent. Elles encouragent simplement l’intégration de l’entrepreneuriat dans les stratégies nationales, l’accès au financement pour les jeunes, et les partenariats public-privé.

La vraie raison est politique liée à la nature du système Algérien. Ces résolutions promeuvent :

  • L’autonomie économique des citoyens
  • Des réseaux indépendants de l’État
  • La participation civique des jeunes
  • L’égalité des genres

Dans le système algérien, l’accès à la richesse dépend de la loyauté politique et non de la compétitivité, l’économie est un outil de contrôle et de récompense, et où les services de sécurité accumulent des dossiers sur toute personne influente, ces dynamiques représentent une menace existentielle.

L’entrepreneuriat crée des centres de pouvoir décentralisés. La participation civique des jeunes génère des réseaux indépendants. Ce sont exactement les mécanismes qui ont alimenté les soulèvements du printemps arabe. Le revirement de 2012 de l’Algérie à l’ONU sur les résolutions liées à la jeunesse et l’entrepreneuriat n’est pas idéologique, c’est une réponse défensive au Printemps arabe.

L’ALGÉRIE EST EN GUERRE CONTRE SA JEUNESSE

Le dossier onusien de l’Algérie est sans équivoque :

  • 6 votes favorables (1971-1990)
  • 7 votes contre (2012-2024)
  • 4 abstentions (2014-2022)

Tandis que Kamel Rezig présente à Genève l’Algérie comme un « modèle en matière de soutien à la jeunesse et à l’entrepreneuriat » et de « promotion de l’autonomisation des jeunes », il ignore — ou omet délibérément — qu’au sein des Nations unies, l’Algérie vote systématiquement contre les résolutions consacrées à l’émancipation des jeunes et à l’esprit d’entreprise. Elle s’aligne sur les régimes autoritaires qui redoutent leur propre jeunesse, et se place en opposition directe avec les États qui dominent les domaines de l’innovation et de la créativité économique.

L’Algérie est un modèle, en effet : celui d’un État qui prêche l’autonomisation des jeunes à Genève et vote contre à New York.